Chroniques

My Bloody Valentine MBV

Après avoir failli baisser les bras hier soir à l’annonce de la mise en ligne du nouvel album de My Bloody Valentine, leur  Internet a fini par remarcher et ainsi nous permettre de télécharger le petit sésame numérique. MBV, c’est son petit nom, rejoint aujourd’hui Smile et Chinese Democracy dans le panthéon des arlésiennes de la pop music qui finissent par voir le jour après des décennies d’attente, de mythe, de conjectures (d’ailleurs, vous pouvez vous délecyer des nôtres ici) et de blagues sur l’ego tordu de leurs auteurs. Merci donc Kevin Shields. Même s’il n’en était pas encore rendu à l’état de légume, comme on a pu le constater à travers ses piges pour Primal Scream, Sofia Coppola ou même Paul Weller, on ignorait si sa vision, son « mur du sang » n’avait pas disparu corps et biens dans la traînée de particules laissée par la comète « Soon », qui clôturait Loveless en 1991.

Avouons que sur le papier, le défi de réussir cet album (dont les morceaux sont en écoute sur la du groupe) du retour relève de l’impossible. Comment se hisser au niveau de Loveless au bout de vingt ans, et ce dans un paysage musical évidemment bouleversé artistiquement et économiquement ? Kevin Shields nous répond ici que nous sommes des idiots de poser la question ainsi, car ces critères n’ont aucune importance. Le mec a beau maintenant ressembler davantage à un prof de biologie en fin de carrière qu’à cet espèce de nerd génial et tourmentée qu’on avait laissé il y a vingt ans, il déclare ici s’être affranchi de ces contraintes, ne pas les avoir prises en compte. « She Found Now » est un premier morceau low profile, et informe l’auditeur que la créature sonore de My Bloody Valentine est guérie des convulsions de tous les extrêmes sur lesquelles nous l’avions quittée : MBV nous propose le « mur du sang » en version plus apaisée, voire même mature.
 
On réalise très vite que ce n’est même plus la peine d’écouter cet album comme un album de rock lambda. Ceci est de la musique de My Bloody Valentine, à savoir une musique qui a quitté la plupart des référentiels du réel (comme son créateur?). Une musique organique, ultra sensible et anti-mode. MBV se distingue néanmoins de Loveless par son ambiance très éloignée de l’overdose imminente qui semblait régner en 1991. Là, on est plus dans une ambiance de science fiction, à bord d’un vaisseau à la dérive, sereine et assumée. Et on passe à travers plein de climats, d’atmosphères, de couleurs. Disons-le, avec une certaine émotion même : plus personne d’autre ne fait de la musique comme cela, avec cette ambition et cette folie. 
 
À ce stade, difficile d’en dire plus tant les impressions sont appelées à s’affirmer davantage. Gageons que l’épileptique « Nothing Is » va intriguer pas mal de dimanche, que « New You » plaira aux fans des Smashing Pumpkins dans les 90’s et que le final « Wonder 2 » laissera perplexe. En même temps, pas impossible que la machine soit de nouveau en marche et que la suite ne se fasse pas trop attendre (genre, un peu moins de 20 ans). Les prochains concerts anglais puis les probables festivals s’annoncent excitants. Ce disque est un événement légitimé par la réputation du groupe. Une réputation qui est restée intacte au fil des années (et merci aux escadrons de groupes qui ont repris la formule depuis). My Bloody Valentine veut donner la preuve que pour eux au moins, la musique n’a pas un rôle accessoire, décoratif ou d’illustration, c’est ce qu’il y a de plus important, c’est ce qu’il y a de plus essentiel. Être animé de ce sentiment à l’écoute de l’impossible troisième album de My Bloody Valentine, ça valait le coup d’attendre.
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