Chroniques

M.I.A. Matangi

Certains voient M.I.A. comme une Lady Gaga de la lutte des classes, un prétexte à vendre de la sape tropicalisante ou bien comme une néo-Manu Chao pour hipsters. Pour d’autres, elle est une sorte de version 2.0 du stéréotype du protest-singer, entre Dylan et Rage Against The Machine, propulsée par la culture Youtube. Le monde au bout des doigts. La vibe musicale de l’hémisphére sud en quinze titres.

Entre ces deux extrêmes, on peut au moins s’accorder sur le fait que M.I.A. place la contraction au rang d’art à part entière. Dans un même mouvement, elle peut ainsi collaborer avec Versace ou Kenzo et ouvrir ensuite l’un de ses concerts sur un pitch skypé de Julian Assange, confirmer aux Inrocks que son majeur adressé à l’Amérique lors du Superbowl était volontaire pour ensuite révéler sur le site NPR qu’il s’agissait en fait d’une gestuelle Hindouiste (sérieusement ?) et que ce n’est pas son problème si les organisateurs de la NFL ne s’ouvrent pas aux autres cultures. La liste est longue et a même failli connaître un point de non-retour quand son titre «  », aux parfums d’émeutes londoniennes post-guerre d’Irak, fut utilisé (« des voitures de pauvres » s’était-elle défendu maladroitement ou juste au troisième degré). Bref, l’artiste cultive toujours avec une certaine malice jubilatoire (pour elle) l’ambiguïté entre posture ultra-ironique et défiance réelle.

Cette personnalité semblait être devenue ingérable ces derniers mois, expliquant en partie la genèse compliquée de ce Matangi. Sa date de sortie fut ainsi maintes fois repoussée, le label souhaitant même, selon les dires de l’artiste, voir la copie entièrement révisée dans une gamme plus sombre, pour souscrire à la tendance presque « Christopher Nolanienne » du moment (« Dark M.I.A. Rise » ?). Bref, un gros gag qui, comme d’habitude chez M.I.A., nous faisait presque oublier que derrière l’esbrouffe et l’étalage de vie privée dont elle nous gave régulièrement, il y a avait aussi de la musique.

Son précédent album, Maya, s’imposait comme une déflagration punk, probablement visionnaire, mais pour le moins éreintante sur la longueur. Comme une tentative adolescente de rejeter sa soudaine « mainstreamisation » suite à l’explosion du titre «  » au détour d’un film lessivant la culture indienne. Aujourd’hui, M.I.A. revient aux couleurs plus lumineuses, moins cyber-garage, de son second album, Kala. Pour preuve, le titre éponyme – vraiment pas le meilleur – sonne comme «  » : même scansion, même frénésie percussive. Cela avant d’enchaîner sur un vaste name-dropping de pays, allant du Mexique à la Serbie. À chacun son instant Benetton.

«  », titre hip-hop flamboyant aux sonorités raï et au refrain imparable, et qui sonnait il y a plus d’un an comme une touche d’espoir pour ce nouvel album, reste son sommet incontestable. Matangi compte heureusement d’autres moments forts comme ce « Come Walk With Me », déconstruction permanente et jubilatoire, ou bien « Double Bubble Trouble », production boostée par les Partysquads et qui réussit ainsi à enchaîner brillamment flottements reggae et pilonnages hip-hop. La patte des producteurs hollandais est encore fortement audible sur le tube « Y. A. L. A. », ses lignes de basses joueuses, ses gros breaks entre EDM et dancehall, accessoires en vogue chez tous les potes de Diplo. Au milieu de ce fatras de beats parfois bien foutraque, M.I.A. arrive également à caler des ambiances plus intimes. En reprenant à sa sauce l’arrangement du «  » de The Weeknd, « Exodus » (et son double « Sexodus » en fin d’album) devient ainsi une belle chanson mélancolique avec un petit effet « mixtape » (les parties voix du producteur étant toujours en partie présentes) bien géré. Autre morceau prenant, « Know It Ain’t Right » sonne quant à lui comme un tube triste à la Santigold.

Pour le reste, certaines expérimentations et croisements de genres sont parfois trop anecdotiques et complaisants, M.I.A. laissant alors l’auditeur sur le carreau dans ses élans ostentatoires chargés de bruitages électriques. Le « Bring The Noize » où elle embarque comme une bonne vieille sniffeuse de tendances les jeunots du label Marble (Bobmo et Surkin) est ainsi un peu laborieux, tout comme ce « aTENTion » reposant trop sur ses gimmicks de voix et syllabes dissonantes. Hit Boy, producteur derrière les « Niggas In Paris » et « Goldie » de A$ap Rocky, déçoit également avec un « Warriors » qui enchaîne les samples à la sauce « Shanty Beat » (appellation de ce post-rap chargé d’éléments ghetto world) et les couplets vindicatifs sans vraiment accrocher.

Niveau paroles, on ne prendra pas trop au sérieux ce grand fourre-tout de discours oscillant entre le militantisme tiers-mondiste et le new-New-Age (le karma puissance Internet), M.I.A. nous faisant en revanche bien marrer sur ses piques bien senties, Drake en faisant par deux fois les frais. Après un « Started from the bottom/ But Drake gets all the credit » sur « Matangi », elle tourne en dérision le « You Only Live Once » (Y.O.L.O.) du rappeur droopy, le transformant en « You Always Live Again » (« Y.A.LA ») parce que « quelqu’un a inventé un jour le karma ».

L’album reste donc globalement divertissant pour tout auditeur en quête d’expériences sonores exotiques un peu chaotiques, M.I.A. faisant encore son shopping de samples et de rythmiques dans le grand marché de la world, allant du Bollywood aux Favelas de Rio en passant par les townships de Johannesburg et sans oublier bien sûr les sirènes des pays du Maghreb. Bref, tout ce qui fait viscéralement flipper l’Amérique ou plus globalement l’Occident profond.

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