Chroniques

The Men New Moon

Si nous décidons de prendre autant d’espace pour poser le contexte autour de ce nouvel album, c’est d’abord parce que The Men (qui sort son quatrième album depuis 2010) demeure un secret bien gardé en France. Nous n’allons pas relancer en vain le débat sur la place du musicien dans sa musique, mais quiconque passe de la face A à la face B de ce New Moon sans avoir été prévenu risque de passer à côté de l’album. Tout comme celui qui lancera l’écoute pour tomber d’emblée sur l’americana pépère de «  » sans savoir que The Men est, grosso modo, le meilleur groupe de punk hardcore (mais pas que) de ce début de décennie.

Le contexte, donc. Le premier album de The Men, Immaculada est un bazar sans compromis, abrasif, pas vraiment pop, où les larsens se superposent, se bagarrent dans un espèce de gros bac à sable free-hardcore. De ce brouillard émerge pourtant une pépite bruitiste, «  », un peu à l’image des premiers enregistrements de My Bloody Valentine. Sur son petit frère Leave Home, on commence à comprendre où Nick Chiericozzi et Ben Greenberg veulent en venir : le groupe tire ses influences des quatre coins de la musique noise. De Bad Religion à, encore eux, My Bloody Valentine, en passant par le krautrock et le metal pur jus. Si les contours sont musclés, le cœur se révèle parfois tendre et fragile.

Open Your Heart, sorti un an jour pour jour avant New Moon, fait son petit effet : bien mieux produit que ses prédécesseurs, il se révèle plus accessible. La production plus propre invite d’emblée l’auditeur dans un trip fun, presque teenage-rock par moments (« I’m an animal » crient-ils sur « Animal »), quand Immaculada et Leave Home agissaient comme de faux repoussoirs. Mais comment font-ils pour rendre cet album si excitant sans pour autant faire quoi que ce soit de vraiment nouveau ? Mieux qu’un d’hommage, qu’un trip revivaliste consacré à la musique écrite par leurs idoles, Open Your Heart est pour The Men l’occasion de reprendre les choses où ces quinquagénaires ridés les ont laissées.

Si cette trajectoire nous semble importante, c’est qu’au final, le passage de The Men du bruit sans compromis à un songwriting plus traditionnel (sans pour autant qu’ils y laissent leur sacro-sainte « intégrité », comme nous allons le voir) peut engendrer toutes sortes de parallèles avec Sonic Youth (voir «  ») ou Dinosaur Jr (et «  »), deux des groupes auxquels ils étaient déjà comparés à l’époque.

Quand on lance enfin l’album, difficile, quand on essaie de lire entre les lignes, de ne pas voir en « Open the Door » une envie pure et simple de faire chier leur petit monde. Cette chanson pop menée par un piano et une guitare acoustique laisse rapidement place au country-rock de « Half Angel Half Light », qui s’écoute comme du Tom Petty ou du Wilco soutenu par des explosions de wah-wah dignes de J. Mascis. Le message qu’ils nous martèlent, c’est que New Moon est axé sur le songwriting. Comme si «  », qui était déjà un petit ovni country (que ne renierait pas, dans la tradition des morceaux qui vous brisent le cœur, un certain Johnny Thunders) avait servi de point de départ lors de l’enregistrement de ce nouvel album. New Moon est plus live, les overdubs sont moins nombreux et paradoxalement, le mix recèle de petits trésors. Ce disque nous permet de comprendre autre chose : lors de la sortie d’un nouvel album The Men, on ne peut pas tant parler de maturation que d’une nouvelle névrose musicale que le groupe décide d’explorer. Chiericozzi et Greenberg sont certes de meilleurs musiciens que ceux qui ont accouché d’Immaculada, mais ces types qui sortent un album par an sont avant tout des hyperactifs qui s’ennuient trop vite.

New Moon est clairement destiné à être écouté « à l’ancienne » : il est composé de deux faces distinctes. Les chansons de la première sont plus posées, à l’image de l’instrumental « High and Lonesome », mélodique jusqu’à la moelle. Quant a la deuxième face, elle est bien plus burnée. Ce découpage est un manifeste old-school en soi, pour un groupe qui ne laisse jamais rien au hasard. « The Brass », « Electric » et « I See No One », qui ouvrent la face B, ressemblent à trois pépites jamais sorties par Sonic Youth. On pourrait même parler de paroxysme de leur escapade indie-rock, avec ce qui est la deuxième meilleure chanson jamais écrite par le groupe, «  » (derrière la fameuse « Candy », il va sans dire). Aucun doute que la face B ravira les quelques fans de la frange punk-hardcore qui n’ont pas quitté le navire avec Open Your Heart, mais après une entrée en matière si surprenante, difficile d’expliquer qu’ils se raccrochent au wagon qu’ils avaient quitté quelques chansons plus tôt. Comme s’ils essayaient de se défaire de cette image noise-punk sans aucune conviction (à noter, sur « Without a Face », ils font un commentaire salvateur sur le punk : « If less is more / Then what’s in store ? »).

Finalement, la comparaison la plus juste serait celle qui mettrait The Men face à face avec Yo La Tengo. À mesure que leur discographie grossit, ils deviennent de plus en plus difficiles à catégoriser, comme si ces métamorphes indie prenaient un malin plaisir à explorer une voie pour mieux revenir en arrière, histoire de brouiller les pistes. Et surtout, surtout, Chiericozzi et Greenberg écrivent sans peine et à une cadence hallucinante des chansons définitives.

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