Chroniques

Marklion Grande Camouflage

Son CV suffit déjà, largement, à aiguiser l’intérêt : rockeur décérébré au sein de Ton Rec dans les années 90, séquenceur au sein d’un des plus grands groupes que le nord de la France ait connu, DAT Politics, créateur et directeur d’Alpage Records (DDDixie, Bruit Fantome, Cosmic Control), Vincent Thierion (nom de code Marklion) est un touche-à-tout. Mais tout ça n’est que la partie émergée de l’iceberg. Depuis deux ans, ce grand chevelu travaille en effet sur son premier album solo, Grande Camouflage.

Sur ce nouveau terrain de jeu, au croisement de la techno et de la pop (de la tech-pop diront les plus jeunes), le lillois semble s’être entouré de tous ses amis musiciens. Jugez plutôt : Etienne Jaumet (Zombie Zombie), la violoniste Tamara Goukassova, Antoine Pesle, Kumi Solo ou encore une bonne partie de la scène lilloise actuelle (Cercueil, Rocky, We Are Enfant Terrible,…) Eh oui, ça fait beaucoup. Pas de raison de s’inquiéter pour autant : Grande Camouflage reste une œuvre cohérente, sans pathos et sans véritable faux pas – excepté peut-être « Bridge To Nowhere », morceau un peu fade.

Et c’est l’impeccable « Your Eyes In The Sky Of Mars », sorte d’hymne électro bubblegum propre à vous affoler les gambettes, qui donne le ton. Dans un style plus rentre-dedans, « Orange & So Far Away », le titre suivant, se révèle encore meilleur : on entre alors de plain pied dans le magma sonore de Marklion, où des beats organiques tutoient des mélodies synthétiques. Mais la prouesse est bien plus spectaculaire à l’écoute de « Let’s Walk & Talk », un single d’une audace, d’une amplitude et d’une universalité proprement stupéfiante. L’énergie pure des morceaux précédents cèdent alors le pas à un groove primitif, taillé pour les dance-floors.

Autre aspect marquant : chez Marklion, les limites n’existent pas. Grande Camouflage est ainsi un album éclaté, dans l’espace et dans le temps. Non pas qu’il soit particulièrement avant-garde, mais il n’a pratiquement aucun modèle en tête. On y trouve des plages atmosphériques (« Father’s Lines »), de la house minimaliste et gracieuse (« Listen To C.C »), de l’électro sous acide (« Grande Camouflage ») ou encore des refrains électrisants (« Lost Sundays »). Le tout avec un vrai sens du détail qui fait chavirer un morceau. Comme sur « Morning Presence » où le chant fantomatique de Pénélope Michel (Cercueil) fait corps avec une spirale de notes schizophréniques, de celles qui ne se dévoilent qu’au fil des écoutes.

Nul doute qu’avec autant de tubes potentiels, Grande Camouflage parviendra à s’imposer autrement que comme une simple curiosité. Pour être franc, on pourrait même dire que ce premier album, modeste mais follement créatif, laisse à penser que son auteur pourrait vite changer de dimension. Il a en tout cas de quoi réconcilier les ayatollahs de la mélodie et les fans d’électro : ces morceaux sont aussi efficaces sur les oreilles que sur les bassins.

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