Chroniques

Marie Davidson Perte d’identité

Vous devez commencer à en avoir marre, non, d’entendre parler de « disque cinématographique », de « bande originale d’un film qui n’existe pas », et autres marronniers de la critique musicale dignes des francs-maçons et du Point ? C’est vrai quoi, pourquoi toujours vouloir rapprocher ces deux arts, aussi distincts que délicatement imbriqués, à tout prix du moment qu’une chanson, un disque, nous rappelle telle ou tel bande originale de film ? On est pourtant bien obligé de revenir à ce lieu commun avec le disque qui nous occupe aujourd’hui, Perte d’Identité, premier long de Marie Davidson (en écoute ci-dessous). On le sait, vous nous excuserez.

Avec son mari Pierre Guérineau, on avait déjà pu remarquer la dame Marie en début d’année sur leur projet commun Essaie Pas, que l’on décrivait grosso modo comme de nouveaux héritiers de Suicide. Mais en solo, la (très) belle ouvre de nouvelles brèches dans son art. Sa musique se fait plus électronique, son écriture, plus poétique. Pas étonnant d’ailleurs, son label la présentant comme « compositrice, chanteuse et poétesse ». Tout un programme me direz-vous, mais un programme respecté ici à la lettre.

Tout commence par « Prélude ». Là où dans la majorité des disques, on n’aurait droit qu’à un vague morceau de moins de deux minutes, Marie propose le morceau le plus … long de l’album (près de huit minutes). Hypnotique, envoûtant. Et cette voix qui nous donne des ordres : « Asseyez-vous / Détendez-vous / Concentrez-vous sur le son de ma voix (…) / Vous fermez les yeux mais vous ne dormez pas ». Avant de présenter clairement le programme des cinq morceaux qui vont suivre : « Je suis / Marie / Davidson / Je vous raconte / Des histoires ». Tout ici nous rappelle les séances d’hypnose vues et revues à la télé et au ciné. Alors, on se tait, on obéit et on écoute.

Le cinéma est avant tout une question de genre, et force est de constater que la majeure partie des disques dits « cinématographiques » font souvent écho à un genre bien précis du septième art. Généralement, l’horreur, la SF ou le plus opaque « lynchien ». Mais beaucoup plus rares sont ceux à toucher à différents genres, et donc, quelque part, à l’histoire plus globale du cinéma. C’est pourtant bel et bien le voyage que propose la montréalaise. « Vie et mort d’un égo », le seul titre purement instrumental, impose d’emblée une ambiance digne des meilleurs giallo. On s’y voit déambulant dans ce qui peut être une maison hantée, un vieil hôtel, des catacombes, à l’affût du moindre bruit, du moindre frémissement. Et lorsque les cordes apparaissent, lancinantes, on sait que l’on est déjà foutu. Dans le registre horrifique, au-delà du film d’épouvante, on peut aussi noter le sous-genre des films d’exorcisme. Parfaite illustration avec « Perte d’identité » et le poème déclamé d’une voix passionnée par Marie Davidson. Plus que la musique, ce sont bien ici les paroles qui nous déboussolent, qui créent le malaise. Non pas que l’électro qui la compose ne soit d’une grande légèreté, loin s’en faut. Et l’on voit même dans l’apparition de l’orgue sur le final une évidente référence religieuse. Mais jugez par vous-mêmes : « Je sens la présence des autres qui attendent / Quoi ? / C’est une perte d’identité / A genoux / A genoux il se lève / Il parle / C’est une perte d’identité ». Démon, quand tu nous tiens.

Rajoutez à cela l’anxiogène « Abduction », digne d’un Gesaffelstein qui se permettrait d’y aller mollo sur les basses et la surcompression, grand morceau de SF (pour ceux qui en doutent, sachez que l’abduction désigne en ufologie « l’enlèvement par des extraterrestres »). Ou encore « Je ne t’aime pas », où l’on se croirait victime des déclarations d’une amante vaguement psychopathe, clairement trop possessive, musicalement très proche de l’univers d’un John Carpenter (évidemment).

Reste alors le morceau le plus court, « Shaky Leg », morceau qui n’a a priori rien de flippant. Mais au milieu de cet album, on ne peut s’empêcher de s’imaginer dragué par une succube dans une fête délicieusement décadente. Quelque chose qui rappelle l’ambiance du clip de «  » de JC Satàn. Quelque chose qui va (très) mal finir donc. C’est donc peu dire que lorsque les dernières paroles de Marie se font entendre (« Ouvre les yeux / Ce n’était qu’un instant »), on se retrouve, quelque part, assez soulagé. Le réel reprend le contrôle, on respire et, soudain, on réalise. Mes aïeux, on vient d’écouter un sacré disque, invitation au voyage aux confins de la perception. Flippante et grisante sensation.

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