Si vous n’avez pas entendu parler de Jacco Gardner ces derniers temps, vous risquez de trouver en Shadows un objet unique dans la scène musicale actuelle : Frank Maston donne en effet dans ce que l’on pourrait qualifier de pop psychédélico-baroque. Alors certes, on peut esquisser un rapprochement entre la musique de l’américain et celle de Jacco Gardner, hollandais de son état, surtout que les deux garçons sont signés chez Trouble In Mind Records (Fresh & Onlys, Night Beats, Ty Segall, etc). Mais malgré ces divers rapprochements, Maston est loin d’être homme à singer ses comparses.
Derrière le patronyme de Maston se cache donc Frank Maston, californien moustachu qui signe ici son premier véritable album (que nous chroniquons avec quelque peu de retard, il est d’ailleurs disponible ) après quelques EP (Opal en 2011, suivi de Voyages l’année suivante). Immédiatement, cette petite trentaine de minutes nous fait penser à la pop 60’s de Syd Barrett, Electric Prunes et consorts. Mais pas seulement, car les arrangements donnent à Shadows toute sa richesse. Ça part dans tous les sens sans pour autant quitter la ligne directrice pop 60’s, et ce sans grandiloquence aucune. Autrement dit, on a un peu l’impression d’écouter une seule et même chanson qui varie sensiblement au fil des minutes, tout en conservant cette atmosphère étrange. L’orgue délivre des sonorités lugubres qui laissent place sans prévenir aux sons des cuivres et des guitares carrément surf, et ainsi de suite. Pour faire court, on ne sait jamais trop à quoi s’attendre au détour de chaque titre.
La finesse des arrangements vient se confronter à la voix illuminée et fragile du gars Maston. On retrouve un peu le côté abyssal qu’il peut y avoir chez Youth Lagoon, par exemple, ou bien, devant le vernis de reverb, on se dit que ce timbre laisse le même genre d’impression que celle de Alex Hungtai (aka Dirty Beaches) sur Badlands. Si ces deux types chantaient sur une musique tout à fait différente, on raillerait sûrement la ringardise de leurs ambitions passéiste. Maston, comme eux, emmêle atmisphère et voix dans un mixture positivement homogène.
Shadows s’écoute d’un bloc. Et même si certains titres ressortent clairement (« Messages », « You Were In Love » et cette petite merveille d’une minute et trente-neuf secondes qu’est « Looks »), les autres ne prennent tout leur sens que lorsqu’ils s’inscrivent dans la globalité de l’album. Meilleurs exemples : les instrumentaux « Strange Rituals », « King Conrad » et « Flutter », dont les cuivres rappellent parfois les enregistrements de Neutral Milk Hotel ou encore Beirut.
Cet album est un peu absurde : la musique de Maston est à la fois aérienne et oppressante, surprenante, sans jamais remiser au placard cet héritage pop. Shadows vous décontenance, mais il faut y revenir pour en saisir toutes les subtilités. Reste à voir si les futures créations du bonhomme s’inscriront dans cette même logique ou s’il parviendra à nous surprendre de nouveau.