Chroniques

Madlib & Freddie Gibbs Piñata

S’ils travaillent sur ce projet depuis 2009, on ne peut imaginer deux parcours plus divergents que ceux de ces figures du rap contemporain. D’un côté, Madlib qui, telle une machine en roue libre, animée par une puissante envie de réinventer le hip-hop instrumental, a toujours semblé hors-cadre, mettant en branle une musique pleine de soul, organique, voire même décomplexée – son style a d’ailleurs été cité de nombreuses fois ces dernières années, jusqu’à créer parfois ses propres clichés et automatismes, comme s’il n’y avait plus qu’une seule manière de produire le hip-hop. De l’autre, Freddie Gibbs, figure méconnue de ce projet qui, depuis une petite dizaine d’années, multiplie les mixtapes et les collaborations (avec Young Jeezy et les Cool Kids, notamment).

Passons les présentations, Piñata (du nom de ces boîtes mexicaines qu’on accroche au plafond pour mieux les frapper et en faire tomber les confiseries) vaut bien plus que cet effet de curiosité. En dix-sept morceaux (vingt-et-un, sur la version collector) et en un peu plus d’une heure, le duo ne cesse d’inventer de nouvelles formes de compositions, fameuses ici pour cette facilité à conjuguer rythmique sanglante (« Deeper ») et boucles jazzy (« Thuggin’ »), à fagoter quelques beats transgéniques pour mieux les soumettre aux desiderata mélodiques de la pop-music (« Robes »).

Si Madlib et Freddie Gibbs produisent ici une pléiade de classiques, passant avec aisance d’un egotrip outrancier (« Real ») à une tirade introspective (« Broken »), d’atmosphères cinématographiques poisseuses (« Lakers ») à des motifs soul (« Scarface »), ils le doivent également à leur casting XXL : la présence de Raekwon, de Scarface (ex-membre des Geto Boys et influence revendiquée de Freddie Gibbs), de Danny Brown, d’Ab-Soul, d’Eart Sweatshirt ou encore de Mac Miller est en effet tout sauf anecdotique.

On comprend alors pourquoi Freddie Gibbs décrit ce premier effort comme la bande-son d’un « film de gangster sur la Blaxpoitation ». Car, outre le phrasé ténébreux de Gibbs et les multiples samples empruntés au cinéma, Madlib laisse entendre ici sa fascination pour les expérimentations sophistiquées de Curtis Mayfield et d’Isaac Hayes (respectivement compositeurs des bandes originales de Superfly et de Shaft), sa volonté de composer un péplum qui remporterait à la fois suffrage populaire et admiration des critiques pop. Comme en témoignent les excellents « High », « Harold’s » et « Knicks », qui, bien qu’ils en détournent les principaux thèmes (ici, on préfère nettement l’introspection, les losers magnifiques aux success stories) semblent porter à eux seuls l’héritage de la musique noire.

La grande qualité de ce Piñata, c’est aussi la cohésion dont font preuve Madlib et Gibbs, alliant à la perfection l’excellence du flow à la fois hargneux et percutant du MC de Los Angeles (où il vit depuis peu, après avoir grandi à Chicago) aux instrumentaux obliques et nuancés du producteur californien. Paré à faire l’objet d’un mini culte, Piñata s’offre même un tube en fin d’album (« Shame »), qui n’est pas sans évoquer les travaux entrepris jadis par Common ou, plus flagrant encore, par Mos Def et Talib Kweli  – rien que ça !

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