Chroniques

Mac DeMarco Salad Days

On a déjà tout dit ou presque sur Mac DeMarco : le canadien aime se foutre des baguettes de batterie dans le cul, a joué les rats de laboratoire pour l’industrie pharmaceutique à Montréal histoire de gratter quelques sous, et il a écrit une chanson pour rassurer sa mère. Avant Salad Days, on ne voyait en lui que le garçon toujours prompt à faire marrer son petit monde. La notoriété et le succès ? Pas une fin en soi. Malgré la bagatelle de 20.000 exemplaires de 2 (son deuxième album) écoulés aux États-Unis, il trace sa route comme si de rien n’était.

À 23 ans et au moment d’aborder la sortie de son troisième album, DeMarco profite d’un crédit illimité dans les derniers bastions indé. Il faut dire qu’il propose une sacré alternative aux groupes « indie » sortis du moule bien habillés, bien peignés et à la musique proprette : avec ses cheveux crades, ses jeans troués et sa voix de camionneur au réveil, Mac DeMarco a tout du bon branleur du cru. Difficile de jouer les sceptiques quand on le voit débarquer sur scène, avec le sourire aux lèvres et armé de quelques bonnes vannes.

En ce sens, Salad Days n’a rien pour dérouter : quiconque a jeté une demi-oreille à «  » ou «  » reconnaîtra le son de la guitare à 50 dollars du singer-songwriter. Avec cette tonalité, ces chansons invariablement mid-tempo et cette voix chaude, on peut dire que DeMarco a trouvé sa « patte ». Le riff d’ouverture donne toujours les clés du morceau à l’auditeur, le canadien se contentant ensuite de tricoter autour. Rien de déroutant, vraiment ? Seuls les synthés vintage de «  » viennent apporter un peu de nouveauté côté son, et supplantent le groove presque funk de certains passages de 2. Cela dit, faire au gars Macky un procès en redondance serait injuste : DeMarco n’a rien d’un laborantin du son. Il est avant tout un storyteller.

Et des histoires, il y en a un paquet ici. « Salad days » est une expression qui, en langue anglaise, désigne l’insouciance, l’idéalisme et l’innocence de la jeunesse. Difficile de ne pas faire le lien avec le mode de vie de notre pitre. S’il écrivait autrefois « Freaking Out The Neighbourhood » pour rassurer sa mère inquiète de son comportement erratique (« pardon, maman, parfois je me laisse emporter », ), on se dit à l’écoute de ce nouvel album que les « salad days » de Mac DeMarco sont sur le point de disparaître (et que ce titre aurait peut-être été plus adapté à son disque précédent).

Sur «  », la chanson-titre qui ouvre le disque, Macky tient à peu près ce langage : « As I’m getting older / Chip up on my shoulder / Rolling through life / To roll over and die ». Ce qui nous laisse entendre, grosso modo, que le garçon s’inquiète pour l’avenir. Plus loin, sur «  », il manifeste sa peur de perdre sa petite amie Kiera (qu’il porte sur ses épaules sur scène, à laquelle il a dédié un clip et plusieurs morceaux de cet album) : « Tell her that you’ll be there, if you’ll really be there / Separation’s supposed to make the heart grow fond / But it don’t ». L’insouciance des réflexions enfumées de « Ode to Viceroy » et les observations enfantines de «  », deux des meilleurs morceaux de 2, sont bien loin. À 23 ans, DeMarco semble déjà en pleine crise de la trentaine.

Il en ressort finalement une ambiance assez mumblecore : on suit le personnage principal à travers ses réflexions sur les autres, sur soi-même, l’attitude à adopter face au monde extérieur. Alors que, pour parler de lui, ses amis utilisent en chœur le terme « funny guy » dans le portrait que nous lui avons consacré, entendre DeMarco chanter une ode à la solitude comme « Chamber of Reflection » s’avère quelque chose d’assez surprenant.

En trois albums, le canadien est passé du rock déconne fait maison à un disque auto-contemplatif qui fait le bilan, calmement. Pas vraiment ce qu’on attendait de la part de DeMarco. Côté musique, les deux morceaux les plus méditatifs (« Chamber of Reflection » et «  ») sont parés de synthés vintage, comme si leur auteur souhaitait marquer ainsi son passage à l’âge adulte. Le groove des pistes les plus enlevées de 2 a, quant à lui, globalement disparu. « Hi guys, it’s Mac. Thanks for joining me, see you again soon, bye-bye », lance-t-il sur «  », le dernier morceau de l’album. Comme pour nous signifier que malgré la relative gravité du propos, le good ol’ Mac pourrait ressurgir à tout moment.

À ce stade, on ne peut que s’armer de suppositions quant à ce qui a provoqué ce changement dans le ton. Peut-être en avait il simplement marre de passer pour un branleur ou qu’on lui rappelle cette histoire de baguette dans le derrière à longueur d’interviews. Salad Days montre une autre facette de la personnalité du bonhomme. Mais c’est aussi et surtout un album de rupture. Rupture avec ses « jours d’insouciance », rupture avec une image publique biaisée. Mais une rupture façon DeMarco : sans lever le poing, à la cool, et une clope au bec.

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