Dans les lieux culturels où l’on intellectualise sans cesse la musique en tirant sur sa cigarette électronique et en prenant des airs de supérieurs, on a toujours beaucoup parlé de Low. On a beaucoup aimé ce groupe et ce pour des raisons également évidentes : des cathédrales sonores hissées par Things We Lost In The Fire au rock tranchant de The Great Destroyer, en passant par la pop laconique de C’mon, on ne compte plus les albums ayant accompagné avec élégance une certaine forme de nostalgie. Seulement voilà, le grand public, lui, semble avoir toujours fermé les yeux sur cette pertinence musicale. Un opprobre que ce trio de mormons (ce n’est pas un jeu de mot, ils le sont réellement) basé dans le Minnesota, a l’air foutrement décidé à rétablir avec The Invisible Way.
Pour bien comprendre ce groupe, qui n’a pourtant rien du snobisme de nerds ou d’une lubie branchouille, ce dixième album s’avère parfait : sans être une resucée des albums précédents, il se présente comme une création originale, à la fois plus accessible tout en se posant dans la continuité d’une discographie entamée en 1994. On y découvre une pop savamment bâtie sur des rythmes presque exclusivement acoustiques, mais aussi un florilège de paroles d’une sincérité rare. Il est vrai aussi que The Invisible Way possède exactement tout ce qui fit et fait le charme, la force et la classe des mélodies de Low : la guitare acoustique («Plastic Cup »), le piano crève-cœur (« Clarence White »), les cordes prodigieuses («Amethyst » ), les riffs discrets (« On My Own ») et le songwriting pointilleux (« Mother »). Tout cela conçu avec une maitrise digne des plus grands adeptes de la lenteur (Idaho, Spain, Bill Callahan,…).
Comme l’indique le titre de l’album, ici les chansons empruntent des routes invisibles, mystérieuses, où personne ne vit. Pas l’ombre d’une fioriture à l’horizon, pas le moindre frotti-frotta avec la luxuriance. Pour célébrer leur vingtième anniversaire, les trois complices se lovent ainsi dans des atmosphères minimalistes, imaginant de belles aubades bricolées, méticuleuses et à fleur de peau. Surprenant ? Pas tant que ça quand on sait qu’Alan Sparhawk, Mimi Parker et Steve Garrington ont enregistré ce nouvel effort dans le studio de Wilco à Chicago, avec Jeff Tweedy comme chef d’orchestre.
Mais la grande force de The Invisible Way, et plus généralement de la musique de Low, c’est surtout cette capacité à varier les plaisirs, à verser dans la mélancolie sans jamais tomber dans la dépression. On le comprend mieux à l’écoute de « Just Make It Stop » : ça se passe en quatre minutes, c’est beau, c’est doux, c’est fluide et c’est, sans aucune prétention, l’hymne pop par excellence. Alors, bien sûr, on peut trouver le cocktail moins frais qu’il y a vingt ans, mais comment faire la sourde oreille et ne pas entendre The Invisible Way comme la quintessence d’une démarche ?
Dernier détail qui compte : la présence, plus régulière qu’à l’accoutumée, de Mimi Parker au chant. Enfin libre, sa voix, formidable, est à son meilleur dans les passages intimistes, quand il s’agit d’accompagner des pop-songs sensibles aux refrains souvent chavirant. Aussi, lorsqu’elle conclut l’album avec le mélodiquement impeccable « To Our Knees », elle tend une perche, même involontaire, aux propos tenus par Alan Sparhawk dans le communiqué de presse : “Je vous remercie pour votre temps et encore une fois s’il vous plaît profitez de ce que nous avons fait. Je pense que c’est magnifique. “ Ça l’est, Alan, ça l’est !