Alors que certains écument les castings des télé-crochets sitôt leur seizième bougie soufflée, Lorde, pas encore dix-sept ans au compteur, s’est déjà assurée un bel avenir. À 12 ans, elle se fait repérer lors d’un concours de jeunes talents, dans sa Nouvelle-Zélande natale. L’année suivante, elle est signée chez Universal et enregistre rapidement des titres pour le label. Trois ans plus tard, elle sort son premier EP, The Love Club, qui fait son petit effet notamment grâce à deux tubes viraux, « Royals » et « Tennis Court ». Quatre mois plus tard, la voici qui sort son premier album, Pure Heroine.
DumDum vous en avait déjà parlé il y a quelques semaines : Lorde, Ella Yelich-O’Conor de son vrai nom, est la nouvelle coqueluche des midinettes tendance pop noire. Petite, crinière sombre menant sa propre vie, regard gris/vert, style grunge travaillé. Elle en a fait la preuve lors de son passage au Carmen, à Paris, le mois dernier. Une robe moulante et quelques replacements de chevelure ont suffi à faire oublier à quelques dudes de l’assistance qu’elle n’a que 16 ans et que ces pensées-là sont de fait interdites. Surtout, Lorde a cette voix lancinante, ce timbre clair, le genre qui vous recouvre d’un tapis de frissons. Prenons « Royals », par exemple : une instru minimale mais efficace, un beat répété en boucle, un mid-tempo électronique rappelant un claquement de doigts et, par-dessus le marché, la fillette qui ronronne.
Avec son univers construit à coup de clips chiadés, Lorde a rapidement été comparée à Lana Del Rey. Là où Lana rentre franchement dans le jeu de la séduction, à coup de lyrics bling-bling, regards lascifs et histoires d’amour foireuses, Lorde est surtout trop jeune pour être trash. Et cela se ressent à l’écoute de Pure Heroine. Beaucoup de titres jouent la carte du « sexy », mais conservent une part d’innocence qui leur donne un côté gauche carrément mimi. On pense à « Ribs », où il n’est question que de marades entre potes : « You’re the only friend I need/We’ll laugh until our ribs get off/But that will never be enough », et où elle se plaint de ses parents : « Mum and dad/Please let me stay home/It drives you crazy getting old ». Sauf que Lorde nous susurre tout cela à l’oreille de sa voix chaude, sur un beat r’n’b’ aérien mais suffisamment répétitif pour être dansant au moment fatidique du refrain. Sur « 400 Lux », les choeurs exultent (« You buy me orange juice »), pendant que Lorde raconte en doublon l’après-midi de folie à se bécoter dans la voiture de son boyfriend. De quoi se rappeler nos premiers flirts adolescents. Mais surtout, il faut bien l’admettre, il n’y a rien de bien transcendant là-dedans.
Il est peu dire que Pure Heroine est extrêmement produit. Il a été façonné, tout comme l’EP The Love Club, par Joel Little, leader du groupe pop-punk néo-zélandais Goodnight Nurse. Il déploie ses boîtes à rythme, basses vrombissantes, percus et claviers électroniques comme une parade faussement sombre. Dans la presse, Lorde avait annoncé vouloir un album « cohérent, où chaque chanson se complète et montre une signification globale ». Mister Little a exaucé son souhait : Pure Heroine présente une homogénéité poussée, voire un peu lourde, si bien que les titres s’enchaînent parfois sans que l’on puisse les distinguer. C’est surtout le cas pour ceux s’avérant plus « légers » que ce que les singles annonçaient (« Ribs », « Buzzcut Season », « Team » et « White Teeth Teens »). S’ils se révèlent agréables à l’écoute, ils ne supplantent pas la superbe hantée du haut du panier de l’album (le trio « Royals », « Tennis Court » et « Glory and Gore »).
D’autres sont même carrément faibles, comme « White Teeth Teens » et « Still Sane ». On appréciera cependant le dernier effort sur « A World Alone ». La guitare peut enfin y être entendue distinctement, bien complétée par les « ouh ouh » rêveurs. Simple et diablement efficace. Le refrain catchy tranche avec des couplets plus tranquilles, où Lorde travaille sa street-cred : « All my fake friends and all of their noise/Complain about work/They’re studying business/I study the floor ».
Si « Tennis Court » ouvre l’album avec cette question : « Don’t you think that it’s boring how people talk ? », « A World Alone » clôt les débats avec cet ordre : « Let them talk ». Lorde n’en a rien à foutre de ce que vous pourrez bien lui raconter. Elle mène sa vie, young, wild and sweet. Vous avez entendu la demoiselle ?