Chroniques

London Grammar If You Wait

L’exercice était jusqu’ici le pré carré des candidats aux télé-crochets de M6. Les reprises en acoustique d’une chanson archi-connue et archi-entendue avec pour but une « relecture » de l’original, de préférence « Hit the Road Jack », « Seven Nation Army » ou « Hallelujah », trouvent désormais un écho presque exclusivement sur YouTube. Et c’est loin d’être un coup dur porté à nos oreilles. Mais alors, quand London Grammar, trio überhype anglais, décide de reprendre le «  » de Kavinsky au piano, que devons-nous comprendre ?

Avant d’y venir, décrivons le résultat en quelques mots (vous pouvez l’écouter ). Si on dit souvent qu’une bonne chanson restera bonne même dans une configuration guitare-voix (d’où le choix paresseux de « Hallelujah », « Seven Nation Army » et « Hit the Road Jack » des anciennes-nouvelles-stars sus-nommés), il demeure que les partis-pris côté production signifient au moins autant que les textes, le timbre de l’interprète, ou la rythmique. Comprendre : « Nightcall », sans vocoder ni synthés, sans les murmurs lascifs de Lovefoxxx, et bah c’est tout simplement pas top.

Et surtout, pourquoi entamer notre analyse sur cette reprise, quand nous avons devant nous un album entier qui ne demande qu’à être décortiqué ? La réponse est bête comme chou : ce « Nightcall » version London Grammar contient la seule mélodie inoubliable de If You Wait (et encore, on la connaissait déjà).

Pour ceux qui ont loupé les épisodes précédents, voici un bref « previously on » : la chanteuse Hannah Reid et le guitariste Dan Rothman se rencontrent à l’université de Nottingham en 2009, commencent à gratouiller ensemble, avant de mettre en ligne, en décembre 2012, leur premier morceau sur YouTube. Mesure du buzz et gage de réussite : « Hey Now » a depuis engrangé un million de clics.

Si on a beaucoup parlé de leur filiation avec The xx, c’est davantage le fait de ce fameux premier morceau qui, avec ses percussions nappées de reverb’, ses guitares tout sauf rythmiques, peut par moments rappeler «  ». C’est aussi dû au minimalisme des chansons : quelques motifs de guitare, des boucles de piano, deux ou trois pichenettes sur le synthé et des beats au second plan. Mais l’élément principal de la formule London Grammar, c’est la voix de Hannah Reid. Sorte de Jessie Ware lymphatique ou de Florence Welch en moins théâtrale (selon l’humeur), la blonde impressionne et impose presque de toute son austère puissance le minimalisme des morceaux. Il y a quelque chose, dans ses incantations un peu tristounes, que l’on pouvait retrouver chez les chanteuses folk britanniques des années 60.

L’ennui, c’est que dans le contexte de la musique de London Grammar, cette voix transforme le tout en du Evanescence sans les guitares.

Reprenons sur « Hey Now », qui appartient à la catégorie des chansons inécoutables si vous n’êtes pas seul, déprimé, devant votre ordinateur, privé de toute forme d’intéraction sociale. Comme on le disait plus haut, la filiation avec les ritournelles intimistes de The xx est justifiée. Mais à l’inverse de la bande à Jamie Smith, ce sentiment d’intimité devient vite un piège pour la voix clairement over-the-top de Reid. Sur une bonne moitié des pistes, les beats, les instruments et l’organe de Reid semblent évoluer chacun dans leur monde. Si bien que sur « Shyer », la chanteuse semble esseulée tout du long, comme enfermée dans le minimalisme de l’instrumentation. Et sur « Strong », Reid opère dans le même registre que Jessie Ware sur «  ». Le refrain, les nuances, la mélodie, et, grosso modo, tout ce qui fait une chanson mémorable en moins.

En outre, le résultat est vaguement emo, et il est même envisageable que ce soit involontaire. Entre des paroles bourrées de pathos, sans la moindre profondeur, à propos de relations sur le déclin, quelques déclamations assez anecdotiques (« And a lion, a lion, roars would you not listen? » sur « Strong ») ou des rimes désespérément convenues (« Strong / Long / Wrong », encore sur « Strong »), difficile d’embarquer de bon cœur dans la bicoque bâtie par London Grammar. Ça ne sent pas vraiment la joie de vivre, mais après tout pourquoi pas. L’ennui, c’est que de ce désespoir tout propre ne ressort aucun cri du cœur, aucune leçon de vie et encore moins d’appel aux armes.

On se demande si Tim Bran, producteur XXL et ami de longue date de Richard Ashcroft (The Verve) et qui a notamment mixé le «  » de La Roux, était un choix justifié pour tirer les ficelles de If You Wait. Dans le même ordre d’idée, notons que le mixage a été assuré par un monsieur issu de l’écurie Roc Nation, KD, et le mastering par Tom Coyne (qui a notamment vu passer entre ses mains 21, le dernier album d’Adele). Tout un tas de pointures de la Grande Pop, en somme. C’est bête, la fragilité qu’auraient demandé de telles chansons est tout simplement absente.

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