Chroniques

Kavinsky Outrun

Vincent Belorgey, 37 ans, vient de Seine-Saint-Denis et côté tubes calibrés action movie, il sait y faire. Et c’est d’ailleurs un peu pour ça qu’il est reconnu à l’international sous un nom d’emprunt tendance soviétique révolutionnaire coincé dans la tourelle d’un T-34, ces chars russes qui ont bien emmerdé le monde pendant la Seconde Guerre mondiale. Kavinsky a signé l’inévitable « Nightcall », clé de voûte de Drive, le film de Nicolas Winding Refn dans lequel il fait partie des meubles et des mythologies au même titre que les vestes argentées imprimées Scorpion ou le cure-dent de Ryan Gosling.

Outrun est donc le premier album de Belorgey après une série d’EP vendue et propulsée grâce à des emprunts ostensibles à l’aristocratie de la french-touch casquée. Tout comme Daft Punk, Kavinsky tente d’apporter à son disque un élan supplémentaire en y intégrant une sorte de storytelling qu’il travaillé depuis ses débuts. 1986, un adolescent comme les autres qui rêve de ses héros tombe amoureux d’une fille. La suite, c’est une Ferrari Testarossa, une sortie de route et le gosse qui décède, pour mieux revenir et délaisser les jupes pour les jantes.

Bref, c’est l’histoire d’un gars qui devient zombie, incapable de vivre sans sa voiture. Difficile de ne pas y voir l’allégorie d’un bout de France qui a du mal à se passer de certains sites du constructeur automobile PSA. Comme si la nitroglycérine qui coule dans les veines de Kavinsky était un groupe sanguin qu’il partage avec quelques patriotes – dont Romain Gavras, auteur d’un clip rempli de tuning pour le «  » de DJ Mehdi.

La narration d’Outrun est pourtant brouillonne, avec des allures de Best Of précoce. Y a-t-il un quelconque intérêt artistique à reprendre le maxi produit il y a trois ans par Guy-Manuel de Homem-Christo ? D’invoquer ses premiers singles dépoussiérés, comme « Testarossa Autodrive », titre-bannière de son début de carrière quand, poussé par son pote Quentin « Mr. Oizo » Dupieux, il enfourche un Mac et commence à travailler sa musique ?

« Nightcall » est utilisée de manière optimale par Kavinsky, qui dispose aujourd’hui d’une forme de reconnaissance qu’il n’aurait probablement pas atteint, par exemple avec son rôle dans le film Steak (toujours Dupieux) où il incarne le chef d’une bande particulièrement cruelle qui boit du lait, se check avec des bottines et jouent à un jeu violent, qui mélange cricket de mathématiques. Non, « Nightcall », c’est quand même un peu plus la classe.

À la production, son copilote Sebastian élabore une carapace de vernis qui ne peut cacher le fait que l’album est construit d’abord comme la bande-originale rêvée d’un film des années 1980 peuplée de caisses pimpantes, de solos de guitare glam-metal (« ProtoVision ») et de cartouches de jeux vintage. Les images sont aussi celles de films plus récents, comme Vincent Elbaz dans Ma vie en l’air qui cite la Ford Mustang 1967, Ryan Gosling au volant de sa Chevrolet Chevelle 1973 dans Los Angeles, voire le road-trip absurde de Ashton Kutcher et Seann William Scott dans Eh mec, elle est où ma caisse ?

Parce que si Belorgey tente d’embarquer son monde dans un kart à grande vitesse, il laisse surtout une totale liberté d’interprétation. Sa musique ne porte pas son Teddy rouge et blanc mais s’inspire, porté par l’enthousiasme de certains morceaux, « Blizzard » ou « Deadcruiser », les lourdes basses et les refrains de N64, de valeurs partagées par son auditoire : ça va de John Carpenter, aux morts-vivants de Romero, en passant par Magnum, Starsky et Hutch ou Duel, le premier film de Spielberg.

L’album aurait dû rester aphone. Un morceau chanté par le Britannique Tyson, « First Blood », bien kitsch vient presque conclure la course à la manière d’un « Eye of the Tiger » futuriste. « Suburbia » signale une incursion ratée sur le terrain du hip-hop en invitant Havoc de Mobb Deep et rappelant surtout à quel point «  » de Rohff était un super morceau.

Enfin, la voix off présente en introduction et en conclusion n’est là que pour souligner la légende de Kavinsky qui ressemble à un sympathique pitch de suite pour Hell Driver avec Nicolas Cage portant un toupet. Pour l’anecdote, le nom de l’album, OutRun, s’inspire d’un jeu Sega conçu par Yu Suzuki. Histoire de boucler la boucle, un mariage de raison aura bientôt lieu sur console puisque que Kavinsky devrait être présent sur une des stations de radio du prochain volet du jeu vidéo Grand Theft Auto.

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