Chroniques

Janelle Monàe The Electric Lady

Il n’en existe qu’une poignée, mais leur présence et leur stakhanovisme entrepreneurial annihile toute autre forme de succès potentiel. Entre elles et vis-à-vis du public, il n’y a pas de hiérarchie établie. Juste une équité convenue, qui répartit aléatoirement les couloirs de course. Sur la ligne d’arrivée, toujours le même tiercé. Seul l’ordre peut parfois varier. Entre la tournée des stades de Beyoncé, le psychodrame ambulant de Rihanna et le storytelling choupinou d’Alicia Keys, les vipères à la cool du R’n’B commencent à se mordre la queue. Coup de bol : la plupart des challengeuses ont préféré quitter les rangs, plutôt que de rester à se disputer la première place des charts. Elles sont comme Bouygues Telecom, SFR et Orange : le statu quo est leur meilleur allié.

Challengeuses, donc. Notre poids léger du jour, qui culmine à un mètre cinquante-deux, s’appelle Janelle Monàe. L’américaine a sorti son premier album en 2009. Metropolis : The Chase Suite, bien qu’accueilli avec les honneurs, ne fait pas le poids face au grandiloquent Rated R de Rihanna. L’année d’après, le baroque The ArchAndroid lui confère une petite nébuleuse de fans, tandis que les médias commencent à se pencher sur son cas. À grands renforts de performances live, tantôt cool, tantôt rockabilly, qui tournent autour d’un concept-album réussi, l’excitation grandit. Plus ancrée dans les racines de la musique américaine, la Janelle. Le costume à la James Brown. Le Pompadour. La soul. Vient enfin le temps du troisième effort, le bien nommé The Electric Lady, annoncé par un duo, « Q.U.E.E.N », enregistré avec Erykah Badu.

Avant de rentrer dans le vif du sujet, on n’imagine pas Monàe prendre l’envergure d’une Lauryn Hill, et encore moins d’une Beyoncé. Ne soyons pas dupes, les Madames de la soul seront difficiles à bousculer (artistiquement pour la première et niveau notoriété, pour la seconde). Reste que la jeune américaine voit plus loin. Et c’est après plusieurs écoutes que l’on comprend que sa musique fonctionne par rebonds. En électron libre, Janelle opère de petits sauts dans le temps. Des allers-retours désordonnés entre passé, présent et futur. En témoigne l’ambiance feutrée de « Suite IV Electric Overture », qui aurait pu servir de générique aux premiers James Bond, ou « What An Experience » et son beat froid, synthétique. L’enchainement de solos entre « Primetime » et « We Were Rock & Roll » éveillent au rock de nos aînés. Sans oublier le featuring « so 90’s » enregistré avec Miguel et la soul old-school « We Were Rock and Roll ». On la voit sensuelle, rageuse, toujours habitée. Et jamais too much, même si l’album est un peu touffu (dix-neuf morceaux). Malgré le côté pot-pourri du tout, ça ne manque jamais de cohérence.

En clair, les compositions de Monàe vont et viennent entre la soul d’il y a quarante ans, le R’n’B des nineties et la pop d’aujourd’hui. Les influences, aussi diverses que variées, apportent une vraie réflexion sur la musique noire américaine d’hier et d’aujourd’hui. Par la fraicheur et l’énergie développée sur ce disque, Janelle paraphe toutes les pages du cahier des charges d’une musique qui lui est chère. Et d’ailleurs, Monàe sait aussi partager ses jouets. Malgré une flopée de featurings au début de l’album (Prince, Erykah Bady, Solange, Miguel Esperanza Spalding), ceux-ci s’intègrent sans broncher aux plans dessinés par l’hôtesse. Chacun tient son rang d’invité et sert la cause à défendre.

Ce qu’il manque à Janelle Monàe pour réellement décoller ? Un hit. « Q.U.E.E.N » n’est pas passé loin. « Electric Lady » non plus. Jusqu’ici et malgré son précédent album aux accents futuristes, Monàe s’inscrit davantage dans la tradition musicale ricaine sans proposer un discours novateur et suffisamment intéressant. Et surtout, les morceaux les plus solides de The Electric Lady sont ses featurings.

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