Chroniques

Jason Lytle Dept. of Disappearance

Le 8 octobre, alors qu’un génie chafouin, pour le compte du site des Inrocks, nous expliquait pourquoi il n’irait pas au concert de Radiohead, je m’attelais, de mon côté, à préparer une excuse béton à l’attention de toute l’équipe de DumDum. L’objet : ne pas chroniquer le nouvel album de Jason Lytle. Je me lançai alors dans la rédaction de mon mail de refus, commençant par paraphraser l’âme irritable évoquée plus haut : « Non merci ! Je ne l’ai pas écouté mais j’imagine déjà l’ambiance ». Ravi de mon accroche, je m’allumais une cigarette (alors que je ne fume pas) et me passais, triomphant, “Paranoid Android” en fond sonore (tout ceci est faux mais cela donne un côté poignant à l’intro de ma chronique). En savourant ma clope (alors que je ne fume toujours pas), je me fis alors une remarque pleine de bon sens : si à la longue, les jérémiades de Thom Yorke ont fini par lasser même certains de ses fans hardcore, la force et la cohérence de OK Computer restent intactes. Et c’est tout pareil pour The Sophtware Slump, l’album mythique anti-geek de Grandaddy, reformé cet été et guidé par Jason Lytle, dont le deuxième disque solo nous intéresse présentement.

Toujours recommencer, cela a-t-il du sens ? À la manière de Sisyphe qui trimbalait son pesant rocher en haut de la montagne pour le voir dégringoler une fois arrivé au sommet, l’inlassable Jason Lytle traîne le sien de la Californie jusqu’à la crête du Granite Peak dans le Montana pour le même résultat. Son rocher, c’est Dept. Of Disappearance, qui succède à Yours Truly, The Commuter (2009). Aussi gracieux soit-il, le prog-rock de Jason Lytle, placé sous l’astre morne de l’éternel recommencement, mérite-t-il une place dans notre monde peuplé par des Katy Perry et des trublions K-Pop  ? La réponse est oui. Même si Dept. Of Disappearance ne changera pas votre vie.
 
Sur cet album qui ne pouvait sortir qu’en octobre, il est beaucoup question de considérations météorologiques. Pas du niveau d’une Miss Météo en pleine opé drague sur Michel Denisot, mais celles, troublantes, d’un ermite perdu dans ses montagnes désenchantées, quelque part dans le Montana ou dans les Alpes (« Matterhorn »). Moins sexy, certes, mais quand Jason raconte ce qu’il se passe au-dessus de sa tête, ce n’est pas pour alimenter une discussion fastidieuse avec un grabataire. Non, c’est plutôt pour prendre la température des tréfonds de la solitude, à l’aide de chœurs, de guitares vrombissantes et d’arpèges rétrofuturistes à la Electric Light Orchestra (son pêché mignon).
 
Sur « Somewhere There’s A Someone », portée par le bruissement du vent (réel semble-t-il) qui s’étend sur 6 minutes, l’intro au piano est épique, le refrain déchirant et la mise en branle des synthés : métaphysique. La voix de Jéjé, douce et grise, parfois toute en murmures façon Mark Linkous, pose les bases de sa symphonie pastorale branlante. « Get Up And Go, You Can Do It, Everything Gonna be Alright » : l’injonction qu’il répète à l’envi sur « Get Up And Go » nous met un brin mal à l’aise car Lytle n’est pas du genre à répandre son smile par-delà les monts. Ironie peut-être ? Pas sûr, étonnamment.
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