Jake Bugg a le syndrome du bon élève. Comme beaucoup de musiciens très jeunes ayant grandi avec les disques de leurs parents, bien aidés par l’incroyable machine à remonter le temps qu’est Internet, l’anglais à frange s’applique à décalquer une époque, celle du rock que papa et maman appellent, les larmes aux yeux : le « vrai » rock.
Comme pour prouver qu’il connaît bien sa leçon et qu’il faut donc le prendre au sérieux, Jake Bugg aligne fièrement les références musicales jusque dans le titre de son disque, Shangri-la. On a pourtant du mal à passer le cap du revivalisme tiède tant sa musique donne surtout envie d’aller réécouter ses modèles et ses maîtres. Jacky est pourtant loin d’être un mauvais musicien, et il possède de solides qualités de songwriter et il est très précoce dans son écriture mélodique. Mais pour être honnête, il n’est vraiment pas sûr que la musique de l’ado de 19 ans parviendrait à s’extraire de la foule grouillante de chanteurs du même acabit si elle n’était pas portée par un profil bien particulier.
Au premier abord, il est en effet difficile de ne pas éprouver une certaine sympathie pour ce môme anglais vaguement prolo qui choisit de planter l’école pour tailler la route avec une malheureuse guitare. Une sorte de ménestrel soft qui derrière une gueule mutine et des paupières de dix kilos se retrouve presque malgré lui au sommet du top 40 anglais. Autant dire le genre de success story simple à comprendre, qui appâte depuis toujours le chaland de 7 à 77 ans par les codes universels du roman d’apprentissage. En trois points : Jake est d’abord en prise avec son environnement pourri (les logements sociaux de Clifton à Nottingham), il est ensuite soumis à une suite d’expériences (abandon de l’école, premier album, succès, etc…) et il en tire finalement de quoi vivre en harmonie avec son monde (car un disque double platine et un Grammy Award, même en 2012, ça vous offre des perspectives toutes autres qu’un HLM crado et un pack de Carling).
Sauf que l’histoire est maintenant finie, et que Jake Bugg, cliché d’un cliché, n’est désormais qu’un chanteur à succès parmi d’autres et sa musique, elle, n’accomplit pas vraiment d’exploits hors du commun. Car malgré la grosse production signée Rick Rubin, les morceaux de Shangri-La ne parviennent pas à véhiculer autre chose qu’un sentiment de remplissage, qu’une impression d’écouter des morceaux pas fondamentalement mauvais mais tristement classiques. Et malgré son succès, notre ado n’est pas content pour autant et il veut maintenant jouer à la teigne qui envoie bouler son monde. Veste en cuir et guitare stratocaster, sur « », il nous refait le coup de Dylan au Newport Festival de 1965 et souligne sa rébellion électrique d’une fière vignette « Parental Advisory Explicit Content » en début de clip. Sauf qu’alors que Bob Dylan dégainait un morceau comme « Like A Rolling Stone », la chansonette de Jake Bugg passe pour un brâme irritant piaillé d’une voix absolument cacophonique.
Pour le reste, les morceaux s’enchaînent avec monotonie et se perdent souvent entre une production racoleuse (« Slumville Sunrise ») et des morceaux fricotant parfois ouvertement avec un folk rock FM un peu douteux (« Messed Up Kids » ou « A Song About Love »). Et même si l’ensemble reste toujours très proprement executé, on a du mal à trouver dans cet enchainement de mélodies référencées et révérencieuses une raison qui pousserait à écouter l’élève plutôt que les maîtres. Comme quoi, après la dissert’ sur les nouvelles méthodes d’ascension sociale en Angleterre, pour l’exercice Shangri-La, il aurait peut-être mieux valu rendre copie blanche.