Chroniques

Jackson C. Frank Jackson C. Frank

À l’inverse de certains journaux anglais (le , notamment), on n’ira pas jusqu’à comparer le destin de Jackson C. Frank à ceux de Nick Drake, Tim Hardin ou de Tim Buckley en jouant à qui en a le plus pris plein la figure. À l’image du bonhomme, jamais dans le larmoyant ou l’auto-apitoiement, on dira simplement que la vie est parfois une merde sans nom.

Pour mémoire, Jackson Carey Frank fit connaissance avec la mort à l’âge 11 ans dans les années 50, lorsqu’une chaudière de son école explosa, tuant la plupart de ses camarades de classe et le blessant grièvement. Résultat : sept mois d’hospitalisation et de convalescence. C’est pourtant au cours de cette tragique période que le jeune homme va se découvrir un talent : la guitare, que lui a offert un de ses professeurs pour qu’il ne s’ennuie pas, devient alors un socle sur lequel il va se reconstruire. Sa rencontre avec Elvis Presley, son idole, en 1957 et les 100.000 $ de dommages et intérêts participeront également à ce nouveau départ. Ni une, ni deux, l’Américain, alors âgé de 21 ans, fait ses valises. Direction l’Angleterre et son club mythique, Les Cousins.

C’est là qu’il sympathise avec Al Stewart (qui finira par l’accompagner) Sandy Denny (la future chanteuse de Fairport Convention, avec qui il flirtera) ou encore Nick Drake, qui interprétera certaines de ses compositions quelques années plus tard. Mais toutes ces rencontres ne sont rien en comparaison de celle qui le liera avec Paul Simon, un autre new yorkais expatrié. Le comparse d’Art Garfunkel fut d’ailleurs si impressionné par le talent de Jackson C. Frank qu’il décida de lui financer son seul et unique disque officiel grâce aux royalties de The Sound Of Silence.

Ce qui fait le charme entêtant de cet album homonyme, mais explique aussi pourquoi il est globalement passé sous silence à sa sortie, c’est surtout son absence de maniérisme, cette quête réfléchie de légèreté. Si ce mélange d’intentions est devenu au fil des années un vulgaire gimmick, une recette aussi révérée qu’usée, il permet ici la naissance d’un chef-d’œuvre d’une inaltérable beauté, où l’adjectif « bouleversant » prend tout son sens. Que l’on pense à la naïveté désarmante de «  » ou à la grâce tranquille de «  », deux titres redécouverts il y a quelques années sur différentes bandes originales – le premier sur la B.O de The Brown Bunny de Vincent Gallo, le second sur celle d’Electroma des Daft Punk.

C’est dire si Jackson C. Frank a influencé plusieurs générations d’artistes. Malheureusement, cette influence restera principalement souterraine. La faute à des ventes quasi nulles au moment de sa sortie – Jackson tentera de composer un nouvel effort, mais, faute à un moral complètement plombé, cela restera sans suite. Par la suite, sa vie connaîtra un déclin continu : divorcé et incarcéré en hôpital psychiatrique suite au décès de son fils (de la mucoviscidose), Jackson finit petit à petit par se retrouver sans un sou. Une descente aux enfers dont tentera de le sauver un certain Jim Abbott, un fan absolu de l’œuvre de Jackson C. Frank, au début des années 90, en rééditant son album. En vain. L’Américain décède un soir de mars 1999, le lendemain de son cinquante-sixième anniversaire, dans la discrétion la plus totale.

Alors, s’il paraît peu probable de voir la presse française ou internationale lui bâtir les mêmes ponts d’or qu’à Sixto Rodriguez il y a un an, on imagine tout aussi mal comment le monde de la folk pourrait se passer d’une telle merveille acoustique. Un disque, enregistré en quelques heures sur la guitare de Paul Simon à Londres en 1965, que Bert Jansch, guitariste de Pentangle, évoqua en ces termes : « Ce disque – dont on ne peut dire qu’il a changé la face du songwriting contemporain – influença à peu près tous ceux qui l’écoutèrent à l’époque. Jackson C. Frank était un pur génie ».

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