À première vue, Jackson Scott est un slacker. Autrement dit, un apôtre malgré lui de l’art de ne rien faire. Il se lève sûrement à onze heure trente tous les jours, zone dans la maison de ses parents divorcés, se fout des remarques de sa mère concernant les études qu’il a lâchées et préfère rester concentré sur son bol de céréales. Du haut de sa tendre vingtaine, le morveux vient de la ville tranquille d’Asheville en Caroline du Nord et pour passer le temps lors de ses interminables après-midi de glande, il s’est trouvé un enregistreur quatre pistes. Et sous les cheveux gras, les idées ont jailli, construisant alors Melbourne entre les quatre murs d’une chambre en désordre.
Pourtant, lorsqu’on l’écoute aligner ses références de teenager 90’s (Weezer, Nirvana, Pixies), on réalise toute l’ambiguïté du bonhomme. Car loin des ébats de Rivers Cuomo ou Kurt Cobain, les expérimentations dissonantes de ce merveilleux Melbourne sonnent plutôt comme du Pavement ou du Atlas Sound. Tout au long de ces douze morceaux, le pan le plus DIY de la culture indie est malaxé, décharné et réinvesti avec un sens de la mise en forme qui ne peut tenir que d’un habitué de cette esthétique. Dès lors, les propos désengagés du jeune Jackson plantent les soupçons d’une supercherie : « Je n’aime pas la plupart des trucs indie. Ce mot me fait juste penser à la B.O de Juno et à des kids avec des grosses lunettes et des pantalons serrés », déclarait-il au magazine américain Pitchfork. Difficile donc de comprendre si l’on a affaire à un démiurge aussi innocent qu’inspiré ou bien à un môme sachant parfaitement maîtriser le bluff médiatique. Toujours est-il que, sorties de nulle part ou finement référencées, les plaintes bricolées de Melbourne témoignent avec véhémence du génie de Jackson Scott.
Honoré de la prestigieuse mention « Best New Tracks » par Pitchfork, le morceau « » a tôt fait de braquer les feux sur la trogne acnéique du jeune branleur d’Asheville. Il faut dire qu’avec son enregistrement maison, ses arrangements cabossés et sa mélodie sinueuse, cette « chanson terrible » cristallise tout ce qu’il faut de fêlures pour faire de son auteur un nouveau parangon de l’esthétique lo-fi. Sur « Never Ever », les arpèges hérissés de dissonances dressent quant à eux un paysage héroïque avant d’être brutalement tranché par un rembobinage soudain de bande magnétique donnant à ce premier album l’apparence crasse d’un recueil de démos (les morceaux font rarement plus de 2 minutes 30). Mais cet ensemble de croquis faussement tracés à l’aveugle rappelle à quel point les ratures du brouillon racontent souvent beaucoup plus que la beauté impeccable de l’œuvre.
Melbourne est parfois difficile à suivre tant son rythme boiteux fait de sa narration un trajet irrégulier jonché de pentes, de cotes, de gouffres et d’incidents. On passe sans transition du souffle éthéré de « Wish Upon » à l’entrain foutraque de « Any Way », avant d’atteindre les lents râles saturés qui servent d’assise à « Together Forever ». Dans ce cut-up sauvage où s’entrechoquent les influences (avouées ou pas, conscientes ou non), on a souvent l’impression d’être face à un grand bric-à-brac dont le désordre dégage une incroyable vitalité.
Mais derrière les brouillards de bandes magnétiques et les voix trafiquées, c’est surtout les germes d’un compositeur talentueux que l’on découvre ici. Un artiste d’avenir caché derrière les traits d’un slacker nonchalant. Un promeneur immobile qui traîne des pieds dans les ruelles accidentées de son Melbourne à lui.