Décembre 2011, Danemark, dans les environs de Copenhague. Dehors, le froid fait claquer les dents et fige les visages, ce qui n’empêche pas le beau et fort Mads Mikkelsen (alias Lucas, dans le film La Chasse) de dégommer quelques cerfs lors d’une battue familiale à laquelle n’a pas été convié le solitaire Søren Løkke Juul. En même temps, rien de plus normal : ils ne se connaissent pas. Et puis au fond, ça arrange bien les affaires de notre ami Søren qui, sûrement peu friand de ce genre de pratiques viriles, préfère rester au chaud et s’adonner pleinement à son activité de chanteur-compositeur au sein d’Indians, groupe danois dont il est question ici.
Décembre 2011, toujours. À défaut d’avoir un fusil, il a sa guitare, un clavier et entame l’enregistrement d’un morceau parfait : « Magic Kids ». Il partage la vidéo sur Facebook, un blog le repère, et très vite, il tape dans l’oeil du label 4AD qui lui demande d’écrire d’autres morceaux. Le résultat, c’est Somewhere Else : un album pastoral d’intérieur pour nous faire passer un Bon Hiver (jeu de mot, Ramucho) et nous apprendre à apprécier les températures sous zéro. Et ce sans presser le temps, hein, l’automne viendra sans que l’on bouscule l’ordre des saisons. On prend son mal en patience, on attend autour d’un feu vibrant, en partageant quelques tasses de café fumantes avec des potos à qui on finit par se livrer, sans capote, sous l’effet de la caféine : « Les gars, j’ai le sentiment d’être habité par des esprits. Des esprits indiens ». T’inquiète, on te croit Søren.
Si nous évoquions plus haut, à l’occasion d’une blagounette (pour les plus éveillés d’entre vous) le nom de Bon Iver, c’est qu’il revient d’une manière sempiternelle quand il est question d’Indians. Soit. Disons que la comparaison peut se tenir avec son album For Emma, Forever Go, si on se concentre sur la délicatesse des arrangements, la sincérité et la reverb du chant ou pour le côté folk d’Archange fragile. Mais Indians se la joue bien moins plaintif, les chœurs ne versent pas dans l’élégie amoureuse, et même si les vents d’un Njörd neurasthénique soufflent sur chaque piste. Et contrairement à ce bon vieux Justin Vernon, Indians risque de rester un secret bien gardé. Aucune chance qu’une petite prude avec du chewing-gum coincé dans l’appareil dentaire vienne reprendre « Cakelakers » ou « I Am Haunted » (versant acoustique de la montagne Indians) ou la magnifique « Bird » (la pente du pic, recouverte de claviers). Pas que les mélodies de Søren ne soient pas assez efficaces et pop. Elles le sont. Mais simplement, elles révèlent une vraie complexité, une orchestration millimétrée et maniaque sans pour autant virer maniéré ou grandiloquent. Prenons les compositions portées par son piano en porcelaine (« La Femme », « Bird », « Lips Lips Lips » avec les pulsations exquises qui démarrent à 2min20) ; avec elles, Indians passe la frontière de la folk des plaines et des plaintes de cœur pour aller trouver refuge entre le post-rock à la Talk Talk période Spirit of Eden et l’indie intime d’un Perfume Genius (avec qui il a d’ailleurs partagé la scène). La preuve avec le sublime morceau d’ouverture « Somewhere Else » où, entre la 2e et la 3e minute, la bise, les esprits et un piano épique s’allient dans la grâce.