Quand Iggy Azalea a pris le couloir de bus ouvert par Lorde et s’est mise à taper sur les médias en dénonçant le traitement réservé aux jeunes artistes féminines, il devait forcément exister une bonne raison pour que kiwi et wallaby se tiennent enfin la main au dessus d’un arc en ciel. Dans le rôle de la piñata, Complex et Pitchfork, signatures références, accusées d’encenser les princesses hip-hop à peine mature, d’en faire des couv’ aguicheuses puis de les poutrer dès la sortie d’un premier album.

Incohérent pour Iggy Azalea qui tenait à mettre les poings dans le visage de certains I en dénonçant sur Twitter l’outrecuidance des journalistes coupables d’un crime de lèse-majesté : quémander des listes pour le backstage de ses shows avant de dauber dans son dos. Animé d’un fort sentiment de justice, elle mettait ensuite à nu le complot ourdi contre ses cops’ : un bataillon de rédacteurs trentenaires en sandales attendaient dans l’ombre de prendre le relais d’enthousiastes jeunes filles pour rédiger des chroniques acerbes. Ok.

Pourquoi s’en prendre à The New Classic, premier disque d’Iggy Azalea, après avoir soutenu la progression de l’Australienne au fil de ses mixtapes Ignorant Art et TrapGold (produite par Diplo) ? Parce qu’elle est blanche, qu’elle vient d’une ville hippie d’un peu plus de trois milles âmes appelée Mullumbimby, qu’elle singe un accent américain deep south qui fait tiquer et qu’elle a répondu favorablement aux avances de Nick Young, arrière des Los Angeles Lakers et cousin de Kendrick Lamar. Pour tout ça.

Pourtant, il y a d’abord ce tube, « Fancy », réponse tardive au « Hollaback Gir » de Gwen Stefani avec la voix sirupeuse de Charli XCX qui vient se déposer sur le flow saccadé et débile d’Azalea. Ouverte à l’ironie, Iggy répète inlassablement « that » comme Q-Tip dans « Award Tour » et n’hésite pas à jouer les greluches dans un clip hommage au film Clueless. Une des forces de la MC, c’est d’ailleurs le ressort comique qui accompagnait ses premiers titres – le simpliste et cul « Dirt In Your Pussy Ass Bitch » – et qu’on retrouve ponctuellement dans The New Classic. Symbole ? Sa magnifique tirade sur « Work » : « Valley Girls giving blowjobs for Louboutins / What do you call that? / Head over heels? ». Lol

« J’arrive avec du muscle » raconte-t-elle sur « Change Your Life » aux côtés de son mentor T.I., après avoir passé ses hivers à « manger des crumpets avec des marins » – autre sommet d’absurdité. Dépareillée de cet humour, la rappeuse conte ensuite l’histoire d’une adolescente déracinée, débarquée d’Océanie à Miami à l’âge de 16 ans. Le trajet original se fait de « New Bitch, » qui pourrait décrire son irruption mouvementée en Lanvin et Givenchy dans un nouveau collège, à « Goddess » qui pose sa volonté d’hégémonie sur le milieu. Problème, Iggy perd alors ce qui fait le sel de son rap : l’absurdité et le bagout des premiers titres sont remplacés par un débit engoncé entre des chœurs R&B et des portions indigestes d’EDM.

« Lady Patra », enregistré avec Mavado, gourou du Dancehall jamaïcain, ou « Black Widow » qui compte la participation de la « it girl » Rita Ora auraient pu constituer des respirations intéressantes si Iggy avait conservé la formule magique d’un beat simple et de son flow élastique sur les autres titres. Sans sa langue râpeuse et vulgaire qui la mettait sur le circuit des Lil’ Kim ou Eve, Azalea semble tentée d’aller chercher Nicki Minaj et Rihanna sur un terrain très premier degré et qui fait très plaquette de communicant (cadeau : « Impossible Is Nothing »).

Plutôt que de se battre avec Miley Cyrus sur une question de twerk sincère, Iggy aurait probablement gagné à conserver une partie de la spontanéité de ses débuts. Contrairement à sa copine Angel Haze, elle avait accepté à plusieurs reprises de repousser la sortie de son album pour éviter les fêtes de fin d’année, sa tournée australienne en première partie de Beyoncé et la période des Grammy Awards. Un choix économiquement judicieux à en croire le Billboard, qui aura permis de « faire rentrer le cash » au détriment de la fraîcheur.