La grande histoire de la musique est jonchée des destins d’enfants victimes des rêves déchus de leurs parents. Si la plus célèbre de toutes reste inconditionnellement celle de Bambi (pas le personnage de Disney, l’autre), le storytelling choupinou qui entoure les soeurs Haim n’est pas piqué des hannetons non plus. Dès leur plus jeune âge, Danielle, Este et Alana ont intégré Rockinhaim, groupe fondé par papa et maman Haim pour, lit-on, « canaliser l’énergie créatrice de leurs filles, travailler leur aptitude et leur professionnalisme ». Vaste programme. Dans la pratique, pendant une décennie, les trois sœurs enchaînent les reprises de Fleetwood Mac, des Eagles et de la famille Iglesias (si, si !) avant de prendre leur envol, il y a cinq ans. Exit le cocon parental, elles fondent alors Haim. Se débarrasser du « Rockin » fut la première bonne décision d’une carrière à la trajectoire dorée.
Days Are Gone ne fait pas exactement figure de point de départ pour Haim (un bref révèle que Danielle a joué en tournée avec Jenny Lewis et Julian Casablancas). Mais qu’importe, le passé s’efface mieux au moyen d’un filtre Instagram ou d’un vernis indie. Prenons d’abord « Falling », troisième single des filles, qui semble avoir été écrit après une étude de marché de la pop cool et branchée version 2013. Vous savez, celle qui se retrouve à passer sans cesse dans des publicités pour compagnies d’assurance à l’assaut de la « culture jeune ». Les morceaux les plus marquants de Days Are Gone (les singles, quoi) sont vaguement R&B, so girly et saupoudrés d’harmonies censées représenter quelque forme de communion. Les conspirationnistes et autres pisse-froid en tous genres y verront une sacré dose d’opportunisme (surtout quand les soeurettes le « Wrecking Ball » de Miley Cyrus à quelques jours de la sortie de leurs albums respectifs) ; nous dirons simplement qu’Haim semble tomber juste à pic. Sans parler de la présence un peu incongrue d’un morceau country-pop à la Shania Twain, « The Wire », qui, pauvre de lui, doit se sentir bien seul au sein de l’album.
Il faut dire qu’à force de s’afficher partout et sous toutes les coutures (surtout les hautes), les sœurettes ont fini par rendre méfiant. Dans les médias, on parle ainsi de leurs visages d’anges (forcément, elles viennent de Los Angeles) de leurs clips élégants, de leur look glamour, oubliant un peu trop facilement qu’il y a autre chose à dire sur un groupe de pop. Un aspect peut-être mis au placard parce que, justement, il y a moins à dire côté musique : connu pour ses concerts électrisants, de préférence félins et sexy, le trio s’est rapidement vu affubler de l’étiquette « next big thing », qu’il peine aujourd’hui à confirmer sur disque.
On décèle d’abord quelques tics vocaux agaçants sur les morceaux les plus « modernes », notamment « Forever » et « Don’t Save Me ». Le parti-pris est manifeste et, après tout, pourquoi pas. Le « take me back » bafouillé à répétition sur le dernier morceau cité sonne particulièrement disgracieux et, surtout, ça ressemble à un gimmick un peu foireux destiné à donner du relief à un morceau qui n’en demandait pas tant (surtout quand vous avez sous la main un si joli refrain).
Dans le ventre mou de l’album, on découvre une nouvelle facette de Haim à force de références appuyées à la pop 80’s, comme sur « If I Could Change Your Mind », « Go Slow » ou « Honey & I » où plane parfois le fantôme tout de Spandex vêtu d’Olivia Newton John. Et c’est étrangement dans ce registre, qui relève plus de l’impasse artistique qu’autre chose, que les demoiselles prennent leurs aises.
Révélées grâce à quelques bonbons-singles qui ont affolé ce que la Toile compte encore de prescripteurs de tendances, les sœurs Haim montrent surtout, avec Days Are Gone, que ce format est mieux adapté à leur power-pot-pourri. À petite dose, Haim est un groupe plaisant, ni plus ni moins. Mais onze morceaux durant, on a l’impression de se fader une intégrale des bandes originales des rom-coms des années 2000.
Ce dont souffre principalement l’album, c’est (vous l’aurez compris) son aspect chirugical et canevassé. On n’y décèle pas le moindre accident, dans la forme comme dans le fond. Hormis l’hybride « My Song 5 », qui constitue le seul moment de l’album, car celui où les partis-pris côté production semblent enfin servir le propos au lieu d’emballer le paquet. Leur pop FM ascendant Hipstamatic est certes jouée de manière professionnelle par des gens affables, elle manque d’à peu près tout ce qui transforme un album en une expérience de vie.