Oui, il se passe quelque chose en France, c’est indéniable. Pour preuve, même Rock’n’Folk, canard qui accuse généralement plusieurs wagons de retard, a consacré quelques pages à ces jeunes groupes et artistes sillonnant les scènes locales pour imposer leur pop, leur rock et leur electro à des foules chaque jour plus compactes. Superpoze aux Transmusicales de Rennes, Von Pariahs en studio avec le producteur d’Anna Calvi, Aline et un premier album impeccable, et Lescop un peu partout. Quoi qu’on en pense, la pop « made in France », en 2013, a tout de même plus de gueule que les albums des Naast et des Plastiscines.
Musicalement, difficile de dresser des ponts entre Sarah W. Papsun, Juveniles, Charles-Baptiste, Total Warr, Mr. Nô, O Safari, Le Vasco, toutes les formations qui devraient émerger cette année. Mais on devrait pouvoir parler de scène. Leur point commun ? Une absence totale de frontières musicales. À l’inverse de ces bébés rockeurs qui mettaient un point d’honneur à sonner comme Iggy Pop, comme les Ramones ou comme les Beatles (pour le résultat que l’on sait), eux ne se privent pas de citer Souchon aussi bien que les Kinks, Chamfort et Sanson en même temps que Queens Of The Stone Age et Kraftwerk. Peu importe le flacon, tant qu’on a l’ivresse. Et le tout est d’être bien dans son époque. Mieux : de la symboliser. Ce que font à merveille les Granville avec la sortie aujourd’hui de leur premier album, Les Voiles.
D’entrée de jeu, le ton est posé. « Nancy Sinatra » évoque les fantômes du passé, et des images qui définissent le romantisme : des boucles blondes dansant sur un air rétro, une voix suave fredonnant des mots d’amour, et une classe, un grain (de son, d’image) qui emmènent loin. S’il fallait parler de recette, alors celle des Granville serait celle-ci : le voyage. Un voyage à travers le temps, tout d’abord. Ode à la nostalgie et à la mélancolie, Les Voiles passe en revue certaines grandes icônes (Nancy, donc), les premiers émois (« ») et les souvenirs qui se fanent (« Polaroïd »). Des anachronismes en 2013, qui pourraient sentir le renfermé l’honnêteté n’y était pas. Bah alors, c’est ça symboliser son époque, chanter le passé ? Oui, car la question ne se pose pas, cela sonne comme une évidence. Mais Granville nous invite également à un voyage autrement plus personnel : chez eux. Dans leur iPod, dans leur chambre d’adolescent. On y croise les Black Keys (le riff de « Macadam » n’a rien à envier aux ricains), MGMT, les Drums (avec qui ils partagent un certain attrait pour les paysages ensoleillés). Et, planquée sous une apparente gentillesse bien mimi comme il faut, une énergie punk. Enfin, ce voyage nous emmène à Caen et ses alentours. À Granville, à Jersey. En un sens, ce sont sur les lieux où ce disque a été composé, ce groupe formé, que le quatuor nous emmène. Bienvenue, pour la première fois, au cœur du making-of.
Mais plus important encore, Granville est un groupe important pour ce qu’il ne représente pas, et ne représentera jamais : le snobisme. Profondément sincère, dans les textes comme dans la démarche, le groupe cultive cette culture du single évident, du refrain à chanter en chœur. Les sifflements de « », le refrain de « Slow », « Les Corps Perdus »… Chaque parcelle de mélodie est ici dédiée à une idée simple : une chanson peut sauver une vie, ou à défaut, embellir une journée. Une simple chanson peut faire tomber amoureux. C’est naïf, certes, mais cela n’en est pas moins vrai. Les Voiles, à ce titre, s’impose comme un grand et beau disque. Le cliché d’un groupe au berceau de sa carrière, au moment où tout reste à créer.
Photo : Boris Presley, pour