Chroniques

Girls in Hawaii Everest

Girls In Hawaii est un groupe qui aime prendre son temps. Déjà, entre le premier (From Here To There) et le deuxième album (Plan Your Escape), la pop a été forcée de supporter cinq années en leur absence. Une (plus tellement) joyeuse bande qui sait se faire désirer, mais que le destin a bien failli clouer sur place, en 2010, après le décès de l’un de ses membres fondateurs, Denis Wielemans. Le compositeur, le batteur, mais surtout le frère et l’âme. Une blessure toujours ouverte, naturellement, trois ans plus tard. Une blessure qui nourrit cet Everest. La symbolique de ce titre est évidente. L’Everest, c’est en premier lieu le deuil, mais aussi et surtout un mont gravi par les filles d’Hawaii pour accoucher de cet album. Disons-le d’ores et déjà, Everest est plus beau et le plus abouti des trois bébés du sextet belge.

On pourrait s’attendre à un disque lugubre, dont le thème principal est la mort. Mais il n’en est rien. Si certains titres laissent entrevoir une inspiration puisée dans ces évènements, « Misses », premier single envoyé en éclaireur avant l’été, est le seul à aborder le sujet de manière frontale. Les quelques mots qui constituent le cœur refrain, « I miss you », ne sont pas à prendre au sens large. Il s’agit bel et bien d’une lettre adressée au compagnon d’armes disparu. Cependant, « Not Dead » et « We Are The Living », autres titres laissant imaginer un traitement au mieux direct, au pire morbide des évènements, se lisent et s’écoutent comme des thèmes fédérateurs, où le « je » peut être remplacé par un « tu », le « lui » par un « moi », et le « nous » par un « vous ». La pudeur est de mise. La classe aussi, celle que l’on reconnaît aux Girls In Hawaii depuis le début.

Toujours présents, Antoine Wielemans et Lionel Vancauwenberge ne se réinventent en rien ici. Ils ont simplement beaucoup de choses à dire. Everest est un album touffu, mais il sait se dévoiler avec le temps. Chez Girls in Hawaii, les points faibles des débuts sont les signes distinctifs d’aujourd’hui : le phrasé à la Jason Lytle, les mélodies parfois sirupeuses et une certaine idée de la pop, celle des feux de bois au clair de lune. Everest ne déroge d’ailleurs pas (totalement) à la règle avec sa pochette très « Nature et Découverte ». Alors, en quoi diffère-t-il des cargaisons d’albums de folk pastorale écrite par des tâcherons faussement affectés qui inondent le marché ? C’est simple, au vu des circonstances et du talent des belges, ils auraient pu exprimer leur spleen sur une bande-son speed metal qu’on aurait trouvé ça mélodieux. Intimiste sur « Here I Belong », classieux sur « Head On », imposant sur « Switzerland » : Everest se laisse gravir par tous les flancs.

Face aux évènements, les Girls In Hawaii ont décidé de faire face, et de tromper la mort. Beau dans son intention autant que dans son contenu, ce troisième album est une bulle, au sein de laquelle transparaît toute la tristesse du monde, mais aussi l’envie tout à fait terrienne d’aller de l’avant du groupe. Le tout bâti sur des sentiments tenaces mais ô combien bouleversants. Everest est l’album du deuil et non un album sur le deuil, un album dont on peine à qualifier toute la chaleur qu’il procure. Et sans jamais tomber dans le folk larmoyant, précisons-le encore une fois. Merveille parmi les merveilles, « Not Dead » représente tout ce qu’est Girls In Hawaii : un groupe pop aussi discret qu’efficace, aussi malin qu’honnête. Des qualités qui font défaut à bien trop de leurs contemporains. 

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