Chroniques

Ghostpoet Some Say I So I Say Light

Il y a deux stratégies à adopter pour un artiste qui aborde un deuxième album après avoir tutoyé l’excellence sur le premier : ou bien, pour faire étalage de son génie présupposé, il se croit obligé de réinventer sa musique ; ou bien, et c’est souvent le cas à l’heure actuelle, il s’enterre dans des formules raplaplas, voire indigestes tant elles cherchent à plaire. Obaro Ejimiwe aka Ghostpoet, ne fait ni l’un, ni l’autre, et reprend en quelque sorte les choses là où ils les avaient laissés sur Peanut Butter Blues & Melancholy Jam, premier album sorti en 2011. Non par crainte de prendre des risques, mais bien pour aller jusqu’au bout de ses obsessions, pour mieux jouer avec les évidences.

Dès l’ouverture « Cold Win », on réalise que Some Say I So I Say Light est très finement écrit,  déroulant d’emblée, et avec classe, ses ambiances enfumées, ses beats vaporeux et son spoken-word fantomatique. On entre ainsi de plain-pied dans l’univers du petit protégé de Gilles Peterson, comme s’il faisait déjà partie de ces artistes qu’on aime écouter et réécouter parce qu’on sent qu’ils ont beaucoup à apporter. Quelle joie d’ailleurs de constater que le bonhomme d’origine nigérienne n’ait pas cédé à la hype qui lui tendait les bras suite aux nombreux éloges reçus (et à sa nomination au Mercury Prize de 2011, ne l’oublions pas) pour Peanut Butter Blues & Melancholy Jam, préférant entretenir sa créativité et livrer un deuxième album inventif, sans fioritures, marquant définitivement la distance avec un hip-hop engoncé dans une dictature de la surenchère.

Le secret de sa belle cohérence est là : dans ce dialecte typiquement issu des rues de Londres où se côtoient sur le même trottoir la sensualité de la soul, l’incandescence du grime, la mélancolie du blues et les fulgurances hypnotiques du trip hop. Un peu comme si Mike Skinner des Streets venait s’accoquiner avec Isaac Hayes sur des rythmes chaotiques que Mount Kimbie déstructurerait avec plaisir. Cela tient en grande partie à l’alchimie évidente entre sa voix suave et ses mélodies nonchalantes, comme sur « Plastic Bag Rain » et « Thymethymethyme », deux titres plus soyeux que saillants mais ô combien clairvoyants. 

Parmi les péchés mignons de Some Say I So I Say Light, on trouve notamment un goût prononcé pour les mélodies torturées et azimutées (« Theme Waters » et « Comatose »). Un attrait pour le spleen somme toute logique quand on connaît la tendance du garçon à narrer son quotidien, à musicaliser ses déboires. Pas seulement pour les extérioriser, mais aussi pour les exorciser. Pour cela, le poète fantôme a eu la bonne idée de convier, non pas Bill Murray et sa bande de S.O.S Fantômes, mais de talentueuses jeunes pousses, parmi lesquelles Woodpecker Wooliams et Lucy Rose, venues sublimer respectivement les refrains du tubesque « Meltdown » et de l’impétueux « Dial Tones ».

The Streets à l’hospice, Roots Manuva englué dans ses obsessions roots jamaïcaines, Saul Williams délaissant le rap pour la chanson : peu de rappeurs peuvent se vanter aujourd’hui d’avoir un éventail technique aussi large que celui de Ghostpoet. Et c’est pour cela que Some Say I So I Say Light s’écoute comme la chronique parfaite des années 2010.

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