Clope qui lui pend négligemment au bec, pose de dandy sombre et sets électro ultra-intenses destinés aux clubs pointus tout comme aux grands rassemblements de l’EDM américaine : l’étiquette de « néo-Sebastian » n’a jamais été très loin pour Gesaffestein, nouvelle star de la scène électronique. Le délire proto-fascisant de l’artiste Ed Banger a même été repris dans un clip (« »). On pourrait y ajouter également quelques atours destinés à rameuter toute la clique des « beautiful people », quitte à faire hurler les puristes de la techno, de son look de petit minet en costard à une imagerie trash-haute couture déployée dans des clips à l’esthétique ultra-léchée. Un profil managé au millimètre près et le destinant à sonoriser tout aussi bien les descentes de catwalk que les nouvelles pubs Citroën. Bref, l’époque étant à un conformisme confortable et mollement assumé, on a les « Sombres princes » – dixit Le Monde – qu’on mérite.
Malgré son nom de scène un peu try-vraiment-trop-hard et contractant un nom d’album de Dopplereffekt (« Gesamtkunstwerk » pour « œuvre d’art totale ») avec celui de l’inventeur de la théorie de la relativité, on avait apprécié ses précédentes sorties et remixes. Le jeune producteur y démontrait un talent indéniable pour la machinerie puissante et bien huilée, de celle qui projetait des titres tel que « » ou l’ultra-percussif « » immédiatement au Panthéon des titres les plus accrocheurs d’une époque. Avec une identité sonore ultra-travaillée, maintenant immédiatement identifiable et remettant au goût du jour le Détroit des années 90 – Drexiya et le collectif Underground Resistance en tête -, Gesaffelstein s’imposait comme un esthète des ambiances sombres et entrecoupées de palpitations frénétiques. Des productions et murs de sons sans fioritures pour un retour à une certaine force primitive et minimale de la techno.
Sur ce premier album, on retrouve de cette énergie sur les deux premiers singles et pics de l’album, « Pursuit » et « Hate Or Glory ». Le premier se déploie comme l’émulsion techno d’un riff de Slayer, entrecoupée de respirations plus atmosphériques, alors que le second livre une nouvelle marche ultra-puissante démontrant encore tout le talent du Lyonnais pour les changements de climats et subites montées de pression. Ses pauses minimalistes voire complètement silencieuses décuplent ainsi la violence des passages pilonnant l’auditeur de sonorités redonnant un sens à l’appellation « musique industrielle ». On retrouve également ce sentiment de puissance minimaliste, décharnant les arrangements jusqu’au squelette, sur « Obsession », titre au martèlement répétitif virant de plus en plus épique, ou sur un « Duel » évoquant une mauvaise montée de speed. Autres réussites : « Trans » semble taillé dans le moule de son remixe – et peut-être l’un de ses titres les plus forts – pour ZZT. Et c’est là où le bât blesse : sur ces derniers titres on peine quand même à retrouver l’excitation ressentie à l’écoute de ses précédentes productions ou remixes pour Carl Craig / Agoria, Crackboy ou bien Zombie Zombie.
Cette « face sombre » de la techno, comme maintes fois pompeusement évoquée dans les médias, nous fait également un peu moins vibrer lors de ces phases plus douces et sensibles. Ces dernières manquent parfois sérieusement de relief, quand elles ne semblent pas carrément se répéter. « Destinations » en reprenant la même voix féminine que le titre d’ouverture (« Out Of Line ») donne ainsi l’impression de sur-place alors que « Aleph » et « », d’ailleurs bon décalque d’un vieux titre de Visonia (collaborateur de Dopplerefekt) semblent lancées sur le même élan Moroderien. Cette alternance calme/tempête sur fond de techno sombre nous rappelle d’ailleurs combien Rêve Mécanique, premier album du mentor The Hacker était réussi et précurseur. Pour Gesaffelstein, ces pauses mélancoliques, parfois trop désincarnées, cassent le rythme d’un album globalement réussi mais dont l’écoute d’une traite se révèle un peu plombante.