Chroniques

Flume Flume

Flume, ce pourrait être la contraction de « flair » et de « plume ». Flair, car le projet de Harley Streten vient d’une intuition : il existe un endroit à conquérir au carrefour de deux mondes, celui des producteurs et celui des songwriters. Les premiers ont souvent peine à séduire au-delà d’un cercle d’initiés, quand ils ne boudent pas purement et simplement tout ce qu’ils suspecteraient de voir devenir mainstream. Les seconds ne troqueraient pas une écriture bien ficelée pour quelque égarement expérimental. Flume a préféré partir du postulat que la pop et wonky music pouvaient faire bon ménage, voire se rendre service. Un événement a sûrement été le déclencheur de cette prise de conscience. Avant d’embrasser une carrière solo, Streten jouait dans un groupe pop, Antony For Cleopatra. C’est en remixant une de leur vieilles démos (si vieille qu’on ne la trouve que sur ) que Flume obtint « Sleepless », son premier single.

Quant à la plume, l’homme derrière Flume n’en est pas doté. Mais il est bien accompagné. Des chanteurs et chanteuses aux voix suaves lui confient leurs tourments comme on va chez le psy, pour des complaintes chillwave ou R’n’B qui confinent au sublime. Ils s’appellent George Maple, Chet Faker, Jezzabell Doran, Moon Holiday… Des interprètes peu connus en France car, comme Flume, ils viennent des antipodes. Certainement la principale raison pour laquelle ces chansons sont aussi fraîches : avec ses artisans exclusivement australiens (exception faite du rappeur new-yorkais T.Shirt), l’album n’avait, au départ, aucune ambition de conquérir le monde, ce qu’il est en passe de faire. C’est sur la scène locale qu’il a d’abord marqué les esprits à l’automne dernier : avant les tournées américaine et européenne, avant sa sortie internationale, Flume avait déjà atteint la tête des charts australiens et été certifié disque d’or. Un exploit pour un album d’électro indé.

Il faut dire que Flume n’emprunte pas à un quelconque folklore aborigène mais pioche allègrement dans les courants les plus en vue de l’IDM à travers le monde. Sur les pas des piliers de Brainfeeder (Flying Lotus évidemment), il singe la Beat Scene de Los Angeles pour créer un son plus accessible, comme dans la perle instrumentale « More Than You Thought ». Les chansons, quant à elles, mêlent cut-up vocaux et couplets, pour ne s’aliéner ni les néophytes du glitch, ni un public averti. Les modulations de pitch sur les voix (sublime « Insane ») sont un clin d’œil aux productions post-dubstep, dont le Britannique Jamie xx est l’incarnation la plus pop. L’influence la moins évidente et pourtant réelle est celle de Justice : fan absolu du duo, Flume use et abuse du compresseur avec comme seule perspective de faire danser.

Mais ce premier album n’est pas qu’une histoire d’effets (de manche) et de faits (du dimanche). Un esprit le transcende : celui d’un jeune geek de 21 ans, pétri d’émotions adulescentes, dont on dit qu’il aurait trouvé, à 13 ans, son premier programme d’édition musicale dans un paquet de céréales… Flume ne provient finalement ni d’Australie, ni d’ailleurs, il vient du monde des digital natives pour qui l’apprentissage de la technique n’est qu’un moyen de composer des chansons, comme leurs parents auraient appris le solfège. Les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître ce temps où faire de la techno suffisait à fabriquer du génie, avec ce que cela implique en imageries futuristes, en artistes surestimés et en auditeurs ignorés. Flume appartient, lui, au présent et ne semble vouloir abandonner personne en chemin. L’histoire dira s’il est à même d’y parvenir.

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