Chroniques

The Flaming Lips Terror

Voilà comment, la plupart du temps, les choses se passent : le journaliste reçoit un disque, et n’a pas la moindre idée de quoi il s’agit. En général, pour guider le scribouillard paumé, ledit disque est accompagné d’une bio plus ou moins emphatique. Avec la base (quelques dates, la nationalité, les influences) et du superflu (une ligne élogieuse tiré du blog du chanteur). Et puis, une fois sur deux environ, il y a ça: « Plus que de la pop, Machin a son propre univers ». Indice : si Machin a son univers, alors tu jettes. Quand tu as un univers bien à toi, force est de constater que la plupart du temps, c’est parce que personne n’a envie de t’y rejoindre.

Dans le cas des Flaming Lips, la chose fonctionne différemment. D’abord parce que ces doux dingues de l’Oklahoma ont les deux: les chansons et l’univers qui va avec. Mais aussi et surtout parce que dès les premiers jours, les premières notes, le premier album en 1986, toute leur carrière n’est qu’une déclinaison de ce monde à eux et seulement à eux. Un monde où l’on croise des martiens, des robots, des petites japonaises, des ballons géants. Un monde qui n’a de sens que celui que Wayne Coyne veut bien lui donner. En gros, pour résumer, les Flaming Lips vivent et travaillent dans un carnaval sonore sans équivalent dans la sphère musicale au sein de laquelle ils évoluent à la marge.

The Terror, ce n’est pas de la pop à proprement parler. Sur le premier titre dévoilé il y a quelques semaines, « Sun Blows Up Today », les codes du genre sont pourtant respectés à la lettre. Une musique de pub parfaite (Hyundaï en l’occurence), un appel aux grands espaces, mais surtout, une bizarrerie par rapport au reste (bien que le single en question ne soit présent que sur la version Deluxe). Une pointe de soleil au milieu de la noirceur générale, en somme. Car The Terror porte bien son nom. L’écoute au casque peut même s’avérer éprouvante. Le gamin voyait « des gens qui sont morts », mais ici, nous les entendons vraiment. Des bruitages, des sons distordus. Un travail sur la voix de Wayne Coyne qui laisse parfois perplexe. Le morceau d’introduction « Look… The Sun Is Rising », sonne comme un générique de Game Of Thrones passé au Kärcher. C’est épique, torturé. « Be Free, A Way » enfonce le clou : les couleurs pastel ont laissé place au noir, et à rien d’autre. Et dans cet univers hostile, tu es bien seul (« You Are Alone »).

Problème : sur la première partie de l’album, qui dure tout de même près d’une heure, on se sent perdu. C’est à partir de « You Lust », cauchemar de plus de treize minutes, que l’on retrouve l’espace d’un instant un semblant d’humanité, vite anéanti. Les Flaming Lips se plaisent ici à détruire toute idée de romantisme, de joie. Symbole un peu simplet du bonheur, l’image du papillon comme entité éphémère est remise en question : « combien de temps faut-il pour crever ? » (« Butterfly, How Long It Takes To Die »). On se quitte certes sur une vague lueur d’espoir (« Always There, In Our Hearts »), mais ce n’est que pour la forme. Avec cette voix robotique, ces synthés malsains, et la batterie fracassée, Wayne, Michael, Steven et les autres laissent ici s’exprimer leur part la plus sombre. Dans leur univers à la Star Wars, nous avions eu les Ewoks sur « Yoshimi Battle The Pink Robots ». Ici, c’est une visite organisée de l’Étoile de la Mort. Alors oui, on aime ce disque. The Terror est un album comme plus personne n’ose en faire : un album dangereux. Mais non, nous n’y reviendrons pas. Certains d’entre nous préfèrent être heureux.

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