Nous vivons dans une époque d’incroyable sérénité. En 1977, lorsque Suicide envoyait en orbite son « » le premier réflexe qui saisissait les auditeurs du duo radical était d’aller leur péter la gueule sur scène. Aujourd’hui, n’importe quel groupe cite désormais le duo d’Alan Vega et Martin Rev comme référence, Born Bad déterre avec bonheur les oubliés des grandes heures de la synth-wave française (avec les compilations IVG et Bippp) tandis que la galerie Agnès B expose désormais sur le mouvement des Jeunes Gens Mödernes et la culture novö. Autant dire que les deux Canadiens d’Essaie Pas n’ont pas vraiment besoin d’enfiler le bandeau kamikaze tant l’époque semble acquise à leur cause. C’est d’ailleurs les Belges teigneux de Teenage Menopause, plus habitués aux distorsions poisseuses qu’aux synthétiseurs bip bip, qui se sont attelés à la sortie de cet EP en collaboration avec le tout jeune label Malditos Records, le temps d’une première embardée réussie dans la froide lignée d’Elli et Jacno, Deux ou Mathématiques Modernes.
Originaires de Montréal, Pierre Guerineau et Marie Davidson signent avec ce disque une entrée en matière dispersée mais prometteuse. Car si manque de la cohérence du format album, on y trouve néanmoins quelques magnifiques fulgurances cold à l’image de « Carcajou », aria mécanique et tendu sur lequel s’agrippe une voix apeurée. Derrière un morceau d’une telle intensité, la reprise d’Elli et Jacno « Anne cherchait l’amour » semble un peu morne mais sert de passerelle vers l’aridité suffocante de « Tout est jeune ». Sur les agonies d’un bourdonnement synthétique, des chuchotements tiennent tête à des grincements de violon, comme si le « » de Lydia Lunch s’était baigné dans des flots coldwave. Le reste de cet EP tangue perpétuellement entre la détresse des nuits charbon et l’immaculée conception pop, avant de venir finalement s’éteindre dans la grisaille industrielle de « Devotion » et de ses voix robotiques hachées par les crissements de machines.
Remarquable ébauche d’un groupe en devenir, Nuit de Noce pose donc les jalons d’un duo talentueux qui ne se fera pourtant jamais péter la gueule par son public. Il n’empêche que même si ces deux Canadiens ne peuvent pas brandir avec fierté cocards et nez en sang, ils ont au moins le mérite de transformer avec élégance les lunes de miel en soleil de minuit.