Quand on n’a plus grand chose à prouver et que les dollars pleuvent dès que vous bougez le petit doigt, à quoi bon remonter sur le ring ? Première option : ne pas se poser la question. C’est pour celle-ci qu’a opté Jay Z. Son dernier album n’est rien de plus qu’un album de Jay Z, mais rien de moins non plus. Magna Carta… Holy Grail ne dit rien de neuf, ni sur son époque, ni sur le bonhomme. Démesure et ambition sont les deux seuls mots qui font encore tourner la machine du mastodonte.
Deuxième option : faire semblant de ne pas se la poser, mais savamment entretenir son mythe. C’est Yeezus de Kanye West. Un album qui, du moins en apparence, fait table rase du passé. Un album qui ose tout, quitte à dérouter son public (les ventes sont d’ailleurs ). Un truc étrange et malsain, mais fascinant. Kanye, , l’avouait ouvertement: « Je suis un génie, et je ne vais pas faire semblant de croire le contraire, car ce serait mentir aux gens ». Génie ou pas, Yeezus lui donne raison sur la forme.
Troisième option : jouer la carte de la nostalgie. Et vendre son nouveau bébé comme la suite de son plus gros succès. Eminem en interview sur la chaîne ESPN : « The Marshall Mathers LP 2 est en quelque sorte The Marshall Mathers LP revisité ». Tout un programme, qui finalement n’en est pas un. Car pour ce qui est de la nostalgie, on repassera. Eminem au Stade de France s’est débarassé de ses tubes en un medley de cinq minutes. Le passé ne l’intéresse finalement pas tant que ça, si ?
De la nostalgie, il y en a. Dès le titre d’ouverture (le meilleur de ce disque), « Bad Guy », Eminem raconte en sept minutes l’histoire du petit frère de Stan, personnage culte de l’univers du Slim Shady. Il y en a aussi sur le single « Berzerk », dans lequel le producteur Rick Rubin sample les Beastie Boys. Ou, plus malin, sur cette apparition du « Time Of The Season » des Zombies sur « Rhyme Or Reason ». De la nostalgie donc, mais qui en dit long sur Eminem en 2013. Le type porte un regard un peu flippant sur son passé, tuant le Slim Shady tout en le designant comme son « Evil Twin ». Eminem est Slim Shady, il le sera toujours, et ça ne semble pas lui plaire.
The Marshall Mathers LP 2 est un album musclé. Sec et nerveux. Son écoute n’est pas toujours agréable, surtout quand on tombe dans la démonstration pure et dure (« Rap God » et son flow ininterrompu crispant et sans intérêt autre que technique). Mais il en garde un côté touchant, quand on connaît l’histoire de son interprète. Un mec qui en a chié, il faut bien le dire. Il n’est pas le seul, et loin de nous l’idée de le plaindre. Il y a pire dans la vie qu’être Eminem. Mais l’artiste a très bien cerné l’homme derrière le masque. Les thèmes de l’album sont les mêmes que sur les précédents: il y est question de fortune, de guerre pour la première place des charts. Il y est également question de sa vie de famille, de sa vie de rappeur. Eminem parle de Marshall Bruce Mathers III partout, tout le temps.
Finalement, difficile de ne pas entendre ici un album de transition (pardon pour le gros mot). Treize années après son explosion, Eminem ne semble toujours pas être en phase avec le rôle qu’on lui demande de jouer. Remplir un stade, ok, mais sans jouer les tubes. Vendre un disque qui s’appelle The Marshall Mathers LP 2, mais ne pas aimer plus que cela le premier. Eminem a 41 ans. L’âge de chanter « Legacy », autre pépite de ce disque. Mais pas question de laisser sa couronne à un autre. Et pour cela, il y a un nouveau duo avec Rihanna (« The Monster »). Refusant de choisir entre un album pour lui et un album pour les fans, Eminem signe à la fois son oeuvre la plus touchante, mais bizarrement, la moins assumée.