Forcément, quand Edwyn commence à chanter sur « Dilemna » avec sa saudade de vieux loup de mer, sa Northern Soul maîtrisée a tout pour remplir les corps de joie et les gosiers de bière brune. Collins est là et représente sévère sur « Baby Jean » qui n’a aucun lien de parenté avec Billy mais partage sa moiteur, « Carry On, Carry On », avec sa basse un peu lourdingue et son tambourin perché ou « It’s a Reason ». Mais avant tout, ces titres sont l’occasion de savourer l’autonomie progressivement retrouvée d’un artiste capable de pondre de nouveaux albums malgré tout.
Edwyn Stephen Collins, c’est d’abord Orange Juice, un groupe expérimental signé sur son propre label (Postcard Records), embryon puis source d’inspiration principale de ce qui va être à la fin des années 90, la scène écossaise, Primal Scream et Belle & Sebastian en tête. Un groupe qui échange les cornemuses pour les guitares – ce qui, à l’époque, fit dire aux observateurs les plus badins : « le folk meurt pendant que les loques naissent ». Collins construit même son propre studio d’enregistrement et passe le bâton aux nouvelles générations, comme The Cribs ou Little Barrie.
Son premier bilan de vie, Edwyn a dû le faire un jour de février. En 2005, il est hospitalisé d’urgence pour une double hémorragie cérébrale qui le laisse aux mains de la mort. La veille, sur la BBC, il se plaignait de nausées et accusait son repas du midi. Comme quoi, la vie ne tient à pas grand chose. Sauvé par les médecins et l’amour de sa femme, Edwyn se bat, oublie certaines séquelles pourtant irréversibles, comme un ralentissement de ses mouvements et de la parole, pour persévérer dans la musique et signer son sixième album solo, Home Again.
Un mec qui surmonte l’aphasie pour se remettre à pousser la chansonnette, ça force le respect. Les gens racontent qu’à l’époque, il ne pouvait prononcer que quelques mots, rien de plus que « oui », « non », le nom de sa compagne (Grace Maxwell) et « les possibilités sont infinies ». Pas mal donc pour ce John Merrick de la pop écossaise. Nous sommes en 2013 et Collins sort Understated, son huitième effort solo. Et le moins qu’on puisse dire, c’est que Collins a encore du fuel dans le moteur pour ramener son petit chalutier au port et il se félicite de cette renaissance sur « Forsooth », où il redécouvre à quel point le « dimanche est un super bon sentiment, je suis si content d’être en vie », avec en fond ce xylophone qui pourrait faire monter les larmes de n’importe qui et même de Laurence Parisot. « Je suis tellement chanceux d’être en vie » soupire-t-il avec dans la voix la chaleur d’un bûcher.
Comme à l’époque d’Orange Juice, Collins aime mélanger les liqueurs. Il avait tenté d’associer Chic avec du post-punk. Son premier tube à atteindre Top of the Pop, « » jouait sur des réminiscences du Velvet Underground. Understated entre avec un style plus dénudé, des arrangements de guitares et cuivres simples qui en font presque de la country traditionnelle, dans des ballades pleines de regrets où le crooner fait marcher la machine à pathos. Sur « Down the Line », il explique: « juste, faut que tu me comprennes, j’ai perdu du terrain ». Dans sa plongée spirituelle, il enchaîne avec « In the Now » où il revient sur le fait qu’enfin, il peut respirer et travailler. C’est le morceau le plus « bourrin », le genre qui devrait passer dans les pubs histoire de mettre à la porte les derniers clients récalcitrants. Il revient ensuite sur son passé dans la chanson-titre et son refrain entêté « sous-estimé, je suis, je n’avais que 19 ans » avant de conclure sur la ballade « Love’s Been Good to Me », comme un dernier chant de Noël sponsorisé par Johnny Cash.
Edwyn a besoin de béquilles pour que ses compositions prennent vie. Cela se sent encore. Comme en 2010 sur Losing Sleep, il fait appel à quelques potes musiciens. C’était la crème du showbiz à l’époque, Johnny Marr ou Alex Kapranos des Franz Ferdinand. Aujourd’hui c’est Paul Cook et Dave Ruffy, des noms plus confidentiels. Des invités qui l’assistent, lui, un mec qui a assez de fierté pour admettre que sa condition l’empêche d’être totalement autonome. Guests ou non, ce disque qui nous laisse penser que sa convalescence touche à sa fin. Après tout, dans son combat, Edwyn a déjà savouré quelques victoires aux points.