Chroniques

Eels Wonderful, Glorious

La discographie de ce groupe s’apparente à un électrocardiogramme. Directement branchés sur la poitrine de Mark Oliver Everett, les albums d’Eels ont souvent permis d’obtenir un bon aperçu de l’état émotionnel et psychologique de son auteur. Par le passé, on a souvent frôlé la bradycardie et la fibrillation ventriculaire. En 1998 par exemple, avec Electro-Shock Blues, quand E (pour « Everett »), déjà hanté par le fantôme de son père mort en 1982, tentait de surmonter le suicide de sa sœur schizophrène en accompagnant sa mère en stade terminal de son cancer. Autant vous dire qu’à l’écoute du disque, on sentait que le type était mal.

Alors à chaque album, une question revient : comment va-t-il cette fois-ci ? Ces dernières années, on le sentait en meilleure forme. Ok, il y a eu un petit divorce qu’il a fallu exorciser et qui a donné quelques belles chansons sur la dépression post-rupture. Comme en 2010, sur End Times (sic!) avec le morceau « Little Bird » : « Right now you’re the only friend I have in the world/And I just can’t take how very much, goddamn, I miss that girl ». Certes, dans ses paroles, on retrouvait toujours sa magnifique façon qu’il a de raconter les crasses de la vie, mais « Looking Up » sur Tomorrow Morning semblait le révéler guéri et positiviste : « It took a little while/But I’m a real fine man now/Nerver could, but I always can now/Time has healed me ».

2013, Wonderful, Glorious. Thermomètre avec le single « Peach Blossom » : « That was a long cold night/But then the sun came out/To thaw the ice », et le refrain « Open your window man and smell the peach blossom/The tiger lily/The merrygold ». Le message est clair : tendre ses bras à la vie et profiter des jolies petites choses qu’elle propose. E sait très bien qu’il y aura d’autres sales moments dans son histoire, mais il refuse désormais de s’abandonner, les bras ballants, à la dépression. C’est exactement ce qu’il explique sur la jolie ballade « On the Ropes », pleine d’une sagesse qu’on ne lui connaissait pas vraiment : « I’ve got enough I left inside this tired heart/To win this world and walk out on my feet/No Defeat ».

Certes, les thèmes de la mort, les amours brisés, la solitude, sont abordés à chaque album, mais qu’importe. La poésie des mots est là. Les histoires sont extrêmement bien écrites. Everett plonge dans son passé pour nous en ressortir de nouvelles petites histoires avec une leçon de vie cachée derrière. Des leçons presque anecdotiques, pas de prétention ni de vérités absolues. Et toujours avec une très grande humilité, une force et une justesse surprenantes.

Cela fait maintenant presque 20 ans qu’Eels squatte sporadiquement les spotlights avec son indie-pop et son garage-rock. S’il est évident que, musicalement, Wonderful Glorious, sonne parfois plus rock garage lourd (surtout après le passage électro-pop de Tomorrow Morning), au final, on reconnaît toujours la patte d’Everett qui, pour le coup, recycle toutes les sonorités de sa carrière. Étrangement, on a l’impression que cet album (le dixième en 17 ans), autant grand public qu’Hombre Lobo ou Beautiful Freaks, n’aura d’impact que sur la frange hardcore des fans du groupe. Comme d’hab’, en fait. Pourtant, Eels est culte. Son œuvre, d’une grande richesse, et sa singularité situent Mark Oliver Everett dans la caste des grands songwriters américains. Il serait bien temps de le reconnaître. 

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