Chroniques

Ebony Bones Behold, A Pale Horse

Lorsque paraît en 2009 Bone of my Bones, premier album de la londonienne Ebony Thomas, on croit deviner les contours d’une nouvelle scène qui, si elle ne porte pas de nom, pourrait être qualifiée de black girl power. En tête d’affiche évidente, la daronne sri-lankaise M.I.A., déjà auteure de deux albums coups de poing, Arular (2005) et Kala (2007). En première suiveuse, Santogold s’offrait au monde en 2008 avec un premier album proprement époustouflant. Et c’est l’année suivante que débarquait Ebony Bones !, projet multicolore de la cadette de la bande. Truffé de tubes en puissance, mélangeant pop, punk et dub sans distinction, Bone of my Bones était la déclaration de guerre à l’ennui d’une artiste pour qui le futur ne pouvait qu’être brillant. Et ce, malgré le côté « suiveuse » de celle qui a flairé le bon filon.

Pour cette pseudo scène, le succès fût immédiat, entre synchronisations au ciné (M.I.A. dans Slumdog Millionnaire) ou dans la pub (Santogold chez Peugeot, Ebony Bones ! chez … Citroën) et crédibilité artistique attestée. Mais l’après s’avérait plus difficile. Pour M.I.A. surtout, qui déçut dès 2010 avec son troisième disque, que personne ne manqua pas de descendre, avec en bonus le mini-scandale provoqué par le clip de «  ». Pour ses deux copines ensuite, Santogold se voyant forcée de se renommer Santigold alors qu’Ebony Bones se complaisait à jouer à l’artiste touche-à-tout, avec la maison Yves Saint-Laurent ou Jean-Charles de Castelbajac, jusqu’à sa participation avortée à l’opéra Pop’pea en compagnie de Carl Barât et Benjamin Biolay.

Sauf que Santigold est revenue, et pas n’importe comment. Son Masters of My Make-Believe est un disque immense (il atterrira, le petit chanceux, à la troisième place de notre classement des meilleurs albums de 2012). M.I.A., dont le quatrième album devrait sortir début novembre, a fermé pas mal de bouches avec les premiers singles du bazar (dont l’imparable «  »). Alors Ebony a fait comme les copines : elle est revenue, et a même changé de nom, devenant Ebony Bones (sans le point d’exclamation). Une pécadille, direz-vous. Mais ce changement n’est peut-être pas aussi mineur qu’il n’y paraît.

Là où la belle aurait pu se contenter de reprendre la formule de son premier album, elle décide au contraire d’en prendre le contre-pied total. Exit les couleurs flashy, les hymnes YOLO à la «  » ou les tubes évidents tels «  » et la sublime «  ». Place au noir et à la colère. L’inaugural « Behold, A Pale Horse », enregistré en compagnie de l’Orchestre Symphonique d’Inde, rejoue les cordes de «  » (oui oui, « Ne pète pas sur mon cœur ») qui clôturait Bone of my Bones il y a quatre ans. Mais il plâne immédiatement tout un tas de fantômes, une menace, presque, sur ces onze nouveaux morceaux.

Premier constat : on est face à un disque plus cohérent, plus adulte. L’adolescence est finie, la fête avec elle, le monde va mal et Ebony ne fait pas exception. Les titres se nomment « Bread & Horses » (coucou Juvénal), « Morphine to the Masses » ou encore « While the people S.L.E.E.P. ». Elle découpe même le disque en deux actes (l’opéra, on y revient), aux titres évocateurs : « Born In Flames » et « When the Battle’s Lost & Won ». Dans une Angleterre délabrée, il y a toujours de la place pour ouvrir sa gueule, et ça, Ebony ne l’a pas oublié (l’école M.I.A., sans doute). Il serait rébarbatif de citer les lyrics qui renvoient à des envies d’émeute, tant ils sont nombreux. On peut en revanche noter que « Morphine for the Masses » commence et finit par la diatribe de Howard Beale, héros anti mass média du de Sidney Lumet. On se retrouve alors totalement désarçonné face à la maturité, empreinte certes d’utopie presque adolescente, du discours tenu sur une bonne partie du disque par la chanteuse. Musicalement aussi, les titres sont plus dépouillés, à l’image de « I.N.V.I.N.C.I.B.L.E. » ou la voix de la miss n’est accompagnée que d’une batterie (martiale), d’un piano et de cordes. Exit donc les nombreux cuivres et effets électroniques qui donnaient sa richesse à Bone of my Bones.

Quelque part, il y aurait donc de quoi être déçu par cette nouvelle livraison. Car il est rare d’envisager les virages artistiques de tels starlettes avec bienveillance. Il peut aussi être difficile de se reconnaître dans le discours parfois exagéré (« Standing ready for the fight / We take them down into the night », sur « While the people S.L.E.E.P. ») de l’artiste. On peut aussi admirer l’acte, courageux, de se réinventer au-delà d’un simple point d’exclamation disparu ou bien se délecter de la sublime reprise des Smiths « What Difference Does It Make », sur laquelle Ebony s’efface au profit de la chorale des New London Children. Dans le pire des cas, on pourra toujours aller préparer quelques cocktails Molotov en scrèd.

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