Dans toutes les rédactions, il existe un mec plus chanceux et/ou malin que les autres qui parvient à se placer sur toutes les chroniques qui lui plaisent. Par un truchement machiavélique, il sait postuler exactement au bon moment pour récupérer l’album de son choix, brouillant parfois les pistes, proposant de suivre un artiste de folk islandais pour mieux récupérer celui d’un MC de Détroit. C’est ce que je pensais vraiment faire en vendant le sujet : « Qui joue mieux Robin des Bois: Russell Crowe ou Matt Pokora » ? En échange, j’ai eu le droit de me taper la dernière galette de Pont-aven des Editors en écoute sur Spotify.
Même en temps de crise, remplacer le terme « album » par « galette » semble aussi con que l’apparition répétée de la pastille « exclusive » en haut de certains papiers alors que l’interview a été réalisée en batterie dans un hôtel parisien et qu’elle contient les mêmes propos que partout ailleurs. Dans le cas de The Weight Of Your Love, il semble pourtant pertinent d’utiliser les mots à bon escient. Le verbe « commettre » doit être compris par « perpétrer un acte blâmable ». Et il faut dire que les Editors en ont commis, des erreurs de parcours pour livrer une pâle compilation de tout ce qui (ne) se fait (plus) dans le post-punk britannique. Ils pillent les chambres funéraires de Joy Division ou des Smiths et réunissent leur butin dans un disque dont le titre pourrait très bien être celui de la version originale de L’Amour Extra-Large avec Jack Black.
Mais le poids de l’amour ne suffit pas. Malgré quelques pistes sympathiques – notamment le tryptique animal « Hyena », « Two Hearted Spider » ou « Bird of Prey », Tom Smith, le chanteur, ne cherche même pas à s’appliquer quand il tente d’imiter Dave Gahan, en enchaînant les banalités dignes d’un congrès sur les ressources naturelles dans les fôrets de conifères: « pendant un moment / j’ai ressenti le pouvoir de l’amour, c’étaient des éclairs ». Et même lorsqu’il tente un « je me suis promis de ne plus jamais chanter à propos de la mort » avec la voix caverneuse si chère aux platoniciens et à Paul Banks, il ne trompe personne.
« Je ne fais pas confiance au gouvernement », renchérit-il dans une vague tentative de commentaire social sur « A Ton of Love » (pas le fort du groupe, se dit-on en se remémorant les paroles plutôt gênantes de « » : « la chose la plus triste que j’ai jamais vue / ce sont des fumeurs devant les portes d’un hôpital ») quatre minutes de wannabe-U2. Problème, le vocaliste laisse ensuite parler son penchant émo, et la confession prend un tournant inattendu : « Je ne me fais pas confiance non plus ». Une fois cette fragilité mise à nu, il est plus difficile de prendre au sérieux ce quatrième opus du quintet de Birmingham, comme il est compliqué de prendre au sérieux tout ce qui vient d’une ville qui continue de célébrer dans des sur YouTube les trois buts inscrits par Christophe Dugarry en 2003.
Le cerveau de Chris Urbanowiscz doit mieux fonctionner que celui des autres « rédacteurs en chef » puisque le guitariste a abandonné ses potes au milieu de la genèse de The Weight Of Your Love, comprenant que l’entreprise est vouée à l’échec. En cause, des divergences artistiques avec Smith qui, en plus de raconter son lot de bêtises sur l’amour, semble faire partie de la catégorie des gars irascibles capables de casser une vitre parce qu’il n’y a plus de lait au frigo. Toujours est-il que, continuant dans la veine électro post-moderniste après un album qui laissait libre cours aux fantasmes des machines, pédales et synthétiseurs, Editors se fourvoie dans l’indécision, partagé entre des envies mal définies de Bauhaus, de stoner, d’envoyer du charbon à mi-chemin entre The Horrors, The Darkness et U2. On sent ici l’envie d’être pris au Sérieux, de pénétrer dans la cour des Grands. C’est d’autant plus dommage à constater provenant d’un groupe qui a sorti son petit lot de singles nerveux, intenses et imparables, comme « », « », « » et « ».
Si l’album a le mérite de s’améliorer sur la fin, les Editors se risquent quand même à des envolées lyriques dignes de Muse. Puis Smith s’accouple avec un piano sorti de chez Coldplay, sur « What Is This Thing Called Love ». Une fois le manque de cohésion et d’identité de l’album digéré, « Nothing » apparaît comme une fausse escalade depressive, portée par des choeurs semi-Arcade Fire, une section de cordes gothiques issue d’un orchestre syldave et la théâtralité de Smith. Elle aurait sa place dans n’importe quelle comédie musicale bas de gamme. Même Robin des Bois version Matt Pokora. C’est dire.