Chroniques

Dirty Beaches Drifters/Love Is The Devil

Qu’est-ce qu’un créateur ? Prenons le cas de Dirty Beaches : monomaniaque du son, workaholic, voyageur infatigable autour du monde, et accessoirement, l’auteur, depuis 2007 de cinq excellents albums, une bonne dizaine de singles et EP, environ autant de split EP et compilations et pour finir, trois bandes originales de films, dont la dernière Water Park, tirée d’un documentaire d’, est sortie en février dernier. Alex Zhang Hungtai, de son vrai nom, porte ainsi très bien le titre de créateur, bien plus légitime que 90% des musiciens aujourd’hui.

Parmi toute la diversité de sa discographie, il convient, certes, de faire un tri. Faire un tri entre la composition parfaite, quelle soit pop ou un mélange de plusieurs styles, à l’instar de son album précédent, Badlands, chef d’oeuvre absolu de 2011, où toute la force de Hungtai, tout le génie créatif, bercé de toute l’histoire de la musique, était à la disposition de tous. On pleure encore aujourd’hui dès l’écoute des premières notes de , c’est dire… Et puis, il y a eu bien sûr, ou hélas, quelques bizarreries, comme justement l’inégale BO de Water Park. Le genre de musique qu’on qualifie amicalement de « difficile d’accès ». Notez que, généralement, l’expression « difficile d’accès » est souvent utilisée pour éviter de dire du mal d’un artiste qu’on aime vraiment bien, le but étant de parler d’un de ses albums en faisant en sorte de cacher l’effet soporifique pour ne pas dire vraiment chiant, au pire complètement inécoutable du bazar, vu que le type, pendant l’enregistrement, a probablement coincé son doigts sur trois touches de son clavier avant de s’endormir sous l’effet de sa propre musique.

Drifters/Love Is The Devil est donc son cinquième album. Un double, ce qui, ces 10 dernières années s’est souvent révélé osé et suicidaire pour pas mal de monde, Madonna et les Red Hot Chili Peppers par exemple. Le format n’était pas adapté à la musique certainement. Chez Alex Zhang Hungtai, le format colle parfaitement pour la simple et bonne raison qu’on entre directement dans son univers sans s’en rendre forcément compte. Badlands était un album de chansons, avec tous les codes des années 50 et 60 finement appliqués, ce qui limitait quand même pas mal le potentiel d’improvisation de son géniteur. Avec Drifters/Love Is The Devil, le problème est balayé dès le premier morceau, « Night Walk », son beat synthétique répétitif et ses 6 minutes et 34 secondes hors du format pop. L’album n’est ni un album de pop, ni un disque de chansons au sens strict du terme. Au niveau de la composition, on navigue plutôt du côté de Pink Floyd, période 68-70, ou encore La Düsseldorf (« ELLI ») : compositions longues, recherche de tensions, montées en puissance.

Si la première partie, Drifters, est vraiment centrée sur la rythmique, la deuxième par contre, Love Is The Devil, se focalise sur les atmosphères. Rien d’étonnant à ce qu’elle soit quasi complètement instrumentale donc. On y trouve de tout, comme d’habitude, même des surprises, comme « Greyhound At Night » et son côté jazzy, ou encore « Woman », mélange entre les improvisations barrées de John Zorn et les atmosphères répétitives de Colin Stetson. On peut préciser, que sans Anton Newcombe, cette partie n’aurait jamais vu le jour, puisque ce dernier gentiment et gratuitement prêté son studio de Berlin, quand il n’enregistrait pas lui même (c’est à dire, tous les jours entre minuit et 7 heures du matin environ). Une rencontre assez logique quand on y pense car ils partagent, en plus de leur indépendance, la même idée de ce que veut dire composer de la musique.

En clair, Drifters/Love Is The Devil, est un classique comme on n’en fait plus. Un album libéré de toute contrainte et qui explore toutes les subtilités de la composition. Dirty Beaches se lâche, se laisse emporter par son esprit assez barré et gagne ses galons petit à petit, au point de côtoyer le génie créatif de Roger Waters et Klaus Dinger. Comme Badlands, cet album est un autre chef d’oeuvre, cette fois de psychédélisme, transe, et bourré d’ambition. 

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