Chroniques

Diamond Rings Free Dimensional

« Je pourrais. Ma décision n’est pas encore prise, j’ai encore besoin d’y réfléchir. » Quand on lui demande s’il compte se prononcer en faveur du mariage homosexuel, le député UMP Gilles Carrez se montre bien moins fermé d’esprit qu’il y a douze ans, lorsqu’il s’était prononcé contre le Pacs. Si vous vous interrogez sur ce qui l’a motivé à virer sa cuti, je détiens la réponse : il a certainement écouté Free Dimensional, en cachette cet été. Moi-même, je ne suis plus le même homme. Il y a encore quelques semaines, j’avalais deux pièces de boeuf de 500g par jour, je me la donnais grave à la salle de musculation, j’arborais un débardeur blanc sous mes chemises, je n’acceptais jamais un cocktail rosé pamplemousse (sauf si on me le servait selon ma recette hétérosé pamplemousse : du rosé, du Get 27, du Ricard et du piment d’Espelette, à boire très chaud). Le foot et le tuning étaient mes deux raisons de vivre et par dessus tout, j’aimais le feu. Mais depuis que j’ai écouté « Put Me On » de Diamond Rings, au feu je préfère les pompiers. Et les trousses à maquillage, et les salons de coiffure et les leggings léopard.

Cet album n’est qu’amour et bonté mais il peinera quand même à convertir Benoît XVI et François Lebel à la synthpop. L’espoir est permis, cela dit, avec quelques rappeurs « homophobes à 100% » comme la Sexion d’Assaut car, sans vergogne, John O’Regan s’escrime à rapper à la fin de morceaux tels que « Hand Over My Heart », « (I Know) What I’m Made Of » et « 10 Day & Night ». Culotté de sa part. Oser et ne pas se prendre au sérieux, c’est le crédo de cette grande asperge peroxydée dont le baryton dominateur donnerait envie à Mireille Mathieu de porter du cuir. Special Affections, son premier bébé solo (2011), était joué avec le coeur. Celui-ci est joué avec le coeur et les guiboles. Il faut réécouter Special Affections (déjà bien différent de ce qu’il faisait avec The D’Urbervilles, groupe indie rock on ne peut plus classique) : une guitare rock, une basse, une boîte à rythmes et des synthés utilisés précautionneusement, avec modération. Depuis, le canadien grimé en punk à chien rétro-futuriste a traîné ses gaytres (ce n’est pas une faute mais un mauvais jeu de mots, nda) avec Twin Shadow, les mecs de Junior Boys, a fait la première partie de la suédoise Robyn dont il apparaît comme le pendant XY (accoutrements zébrés, chorés en pagaille, production eurodance). Au diable la modération, il n’en a plus rien à carrer : les synthés sont luxuriants, les mélodies flamboyantes et décomplexées.

Derrière Free Dimensional, album brouillé, high-tech, sombre mais langoureux, on trouve Damian Taylor (Bjӧrk, Austra, etc.). Dix morceaux, presque autant taillés pour les charts et les chars de la Gay Pride. Dès l’introduction, « Everything Speaks », Diamond Rings se pose en démiurge gonflé aux hormones stéroïdes, omniscient et universel. Free Dimensional est bien une profession de foi et une invitation à subvertir les identités sexuelles et musicales. Il a appris à se découvrir et semble s’être enfin trouvé, comme il le scande sur « I’m Just Me », hymne tubesque où il déballe ses tripes, ses angoisses de jeune homme et révèle qu’il « avait peur d’aimer », car effrayé par son propre corps. Dix morceaux, autant de love songs ambigües mais oecuméniques qui sonnent le gloss et le glam, jetant le trouble dans le genre. Mention spéciale pour « Runaway Love » (bien mieux que le « Runaway Love » de Justin Bieber), sa ligne de basse virile et sa guitare nerveuse ; il y lâche tout : il veut se réveiller dans une autre ville, il veut perdre le contrôle. Et que dire d’« All The Time », quintessence de son lâcher-prise pop, au nez et à la barbe des prophètes du bon goût, avec sa prod’ volontairement exubérante et son songwriting naïf mais léché (« Hold my hand and take me to the secret place where dreams comes true before they exist. »). Album parfait ? Non, John O’ Regan aurait pu nous épargner « 10 Day & Night », son refrain régressif sur le thème « 1, 2, 3 je vais dans les bois. 4, 5, 6 cueillir des cerises » et ses expérimentations vocodées. Le plus troublant dans tout ça, c’est que même lorsqu’il s’égare, il y a du charme dans l’horreur.

Et comme le legging ne fait pas le moine, cette pop transgenre, outrageusement 80’s, promeut l’amour pour tous. Diamond Rings ne théorise pas façon Judith Butler, il aime et entend bien le faire à fond. Plus sincère que Bowie, moins pète-burnes que Pete Burns, l’androgénie Diamond Rings n’est pas homo mais au fond, tout cela importe peu car, pour paraphraser le romancier Kurt Vonnegut, « celui qui est incapable de comprendre comment une religion utile peut être fondée sur des mensonges, celui-là ne comprendra pas non plus » ce disque.

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