« Tu es un homme jeune dans un monde jeune, viens sur le dancefloor ». Superposition de voix, sitar masqué par une basse à dresser des cobras sauvages, « Golden Girls » ouvre le bal et respire la craie, la sciure, le neuf. Banhart, qui a quitté la barbe, dessine des haïkus et enterre Edward Sharpe et ses Magnetic Zeros d’un revers de coude histoire de montrer que non, tu n’as pas besoin de t’adjoindre les services de toute une famille de mormons pour faire les choses correctement.
Quatre ans après What Will We Be, album enregistré sous une pression démesurée, la conséquence de sa canonisation en petit Christ de la folk et d’une hygiène de vie douteuse, le vagabond revient aux bases avec des titres comme « Für Hildegard von Bingen », dédiée à une sainte catholique du XIIe siècle qui écrivait et composait de la musique (ce qui est assez couillu pour l’époque où les ménestrels femelles étaient plus souvent jetées dans les douves ou accusées de sorcellerie pour avoir refusé les avances de quelques moines en tonsures).
Enfin bref, Mala est un album parfait pour les apathiques. Il a été enregistré dans la maison de Los Angeles de Devendra, que l’on imagine être un croisement entre un café veggie nordique et la maison de Jesse Pinkman dans Breaking Bad. Le titre (du serbe, nous dit-on dans l’oreillette) est une sorte d’hommage à Madame (tapez « Ana Kras » et oubliez Natalie Portman). Ça voudrait dire quelque chose comme « ma chouquette » alors qu’en fait, c’est surtout une manière de dire qu’il a été un peu mauvais auparavant. Malin.
On passe ensuite par « Never Seen Such Good Things » et ses paroles optimistes comme « si nous faisons encore l’amour, je pense que ça va être crado » (Non mais allo t’as pas de shampoing quoi ?), avant de passer la frontière du Rio Grande et de se mettre à l’espagnol histoire d’adoucir le tou : sur « Mi Negrita », Banhart nous parle de « fantasmes » et de « fantômes corporels ». C’est l’interprète qui apporte toutes les données nécessaires à la compréhension du morceau, enregistré avec un bel effet retro qui joue la noyade. « Je me suis imaginé dans un costume beaucoup trop large, un peu suant, sur le plateau de l’émission de variétés vénézuélienne Super Sabado Sensacional – qui doit être une sorte de Vivement Dimanche mais le samedi » (pour les curieux, voici du show en question).
Le monde a tendance à ne pas prendre au sérieux Devendra Banhart, qui est pourtant l’entertainer le plus rigolo du ligue guindée des gentlemen folk. Le monologue de « Your Fine Petting Duck » est une excellente occasion d’apprécier l’humour du gusse, qui tente ici de repousser les avances d’une ex-copine à coup de « rappelle-toi que s’il ne fait pas tous les efforts nécessaires, moi je n’en faisais aucun, rappelle-toi que s’il ne te donne pas assez de son temps, moi je ne te consacrais pas le mien ». La chanson part ensuite, au bout de trois minutes, dans une sorte de délire germano-psychédélico-disco assez agréable. Sa veine comique, peut-être un peu plus subtile que celle d’Adam Green (les goûts et les couleurs…), tient souvent dans un discours sur l’amour assez ambigu, comme si le mec découvrait en même temps que nous en quoi consiste la vie de couple.
Banhart enchaîne avec une ballade muette en hommage à Keenan Milton, skateboarder d’Atlanta mort en 2001 lors d’un Independence Day qui a mal tourné. Sobre, sa voix disparaît puis revient au premier plan dans « A Gain » où Devendra a mis sa plus belle perruque Elliot Smith pour se plaindre que « personne ne lui achète de DVD ». Enfin, « Cristobal Risquez » lui sert à marteler l’idée que l’association guitare acoustique/matos électronique lui plaît décidément beaucoup.
Passant aussi bien des Young Marble Giants à Ariel Pink avec un détour par la pop anglaise évoquant tant les Beatles que The Creation, Banhart offre un retour rafraîchissant et gentiment émo. À force de suivre ce dialogue contradictoire engagé avec lui-même (« je ne peux vivre avec toi que si tu es là le lendemain » suivi par un « ce soir je t’aime mais demain est un autre jour »), on se dit, mais décide toi putain, mec. Mala est ponctué par un autre jeu de miroir : « Won’t You Come Over » puis sa réponse « Won’t You Come Home », avant-dernier morceau qu’il débute avec un souffle « reviens, j’abandonne, tu me manques… ». On pensait pareil.