Au-delà du secret de Polichinelle qui a longtemps entouré le retour de l’artiste, il y avait toute la difficulté d’appréhender le retour de l’homme. L’artiste est l’éternelle voix de Noir Désir (même si le groupe a été dissous en 2010), pas loin d’être ce que notre pays a connu de meilleur en matière de rock ce dernier quart de siècle. L’homme est celui qui a commis l’irréparable. Aujourd’hui, la carrière de l’un est indissociable du geste de l’autre. Quoiqu’il fasse Bertrand Cantat sera jugé à travers le filtre de son acte. Et même si la qualité du premier album de Détroit, duo qu’il forme avec Pascal Humbert, est indéniable, on n’évitera pas l’écueil de l’amalgame. Reste la musique.
Il y a d’abord l’inévitable discrétion avec laquelle est sorti ce premier effort. Comme un long silence. Silence dans lequel s’est enfermé Bertrand Cantat pendant dix ans. C’est ce même silence qu’il a décidé de briser au mois de septembre dernier avec « Droit Dans Le Soleil », premier extrait d’Horizons, avant avec Les Inrocks fin octobre. Preuve que le seul moyen de revenir pour Cantat passerait par la musique. Il y a donc cet album, objet inespéré, qui n’a pas la prétention de faire taire les colères, mais qui essaie plutôt d’amener à les comprendre.
Avec Détroit, Cantat ne s’interdit rien. Il s’essaye de nouveau à l’anglais (« Glimmer In Your Eyes », « Null And Void »), nous renvoie à son rock d’avant avec « Le Creux De Ta Main », au refrain discutable, et libère quelques vieux démons (« Ange De Désolation »), comme il l’a toujours fait. Souvent, avec Noir Désir, ses textes se laissaient aller à plusieurs interprétations possibles. Ici, c’est surtout dans le titre de l’album que l’on pourra voir à peu près tout ce qu’on veut. Horizons, comme autant de probables résurrections qui se dessinent, de buts à atteindre. C’est ainsi que l’on pourrait interpréter la façon dont Cantat clame « Cherche ton horizon, traverse les cloisons », façon à lui d’expier la douleur de quatre années passées en prison. Mais ce ne sont là que de probables explications. Tout comme avec « Droit Dans Le Soleil », enregistré au Liban en une seule prise, que Cantat avoue ne pas avoir écrite pour lui. Ce sont même Pascal Humbert et Wajdi Mouawad qui ont insisté pour que celle-ci soit présente sur l’album.
Côté musique, chaque détail vient parfaire l’effet cathartique de l’album. La production, orientée folk, permet ce retour discret et classieux. La finesse des arrangements laisse une large place à la voix toujours aussi caressante de Cantat. Les guitares sont de légers feux follets. La batterie, quant à elle, vient faire exploser la tension des crescendos. « Détroit – 1 » et « Détroit – 2 » sont des parenthèses instrumentales nécessaires. Elles permettent de reprendre son souffle. Parce que si la fin de l’album se fait plus dure, le ton lui, s’alourdit après chaque mot lâché. En conclusion, le duo s’illustre avec une reprise technoïde et bruitiste d’« Avec le temps » de Léo Ferré (pour qui Bertrand Cantat voue une profonde admiration).
À bientôt 50 ans, Bertrand Cantat n’est plus le même homme. Il reste pourtant ce poète maudit, fort dans l’intime, dont le fantôme planait bien avant le drame de Vilnius. Le retrouver ici, avec Détroit, ou prendre plaisir à réécouter Noir Désir, ne fera jamais de nous ses complices. Encore moins des coupables. Horizons ne fait pas le deuil d’une vie passée. Détroit n’enterre rien. Détroit est le seul moyen pour Cantat de continuer.