En 2000, Deltron 3030 pose le décor. De retour du futur donc, Dan The Automator, Del Tha Funky Homosapien et Kid Koala racontent ce qu’ils y ont vu. Pas optimiste pour un sou, le trio fait partie de ceux qui pensent que tout est déjà joué. À partir de là, Del nous dépeint un avenir carrément morose, tiré des pires scénarios de films d’anticipation. Le thème s’articule autour de l’oppression du petit peuple par les puissants. Et si de loin, le tout ressemble à une loufoquerie de rappeur intello nourri aux comics SF (pour ceux que ça intéresse, nous avons fait une petite anthologie du genre). Mais cet album avait en fait valeur de mise en garde. Des textes écrits en une quinzaine de jours par Del, au travail de Kid Koala, s’inspirant aussi bien de De La Soul que de l’opéra-rock du français William Sheller pour le sampling, à la production de ce bon vieux Dan, l’ensemble détonne. À l’époque, le changement semble déjà à l’ordre du jour. On est alors bien loin du rap qui passe sa vie à s’en inventer une. Deltron donne dans le factuel anticipé et romancé, et ce voyage dans le temps assoit définitivement la notoriété du trio. Aussi bien du côté des adorateurs de la vieille école que de la hype et des pontes de la musique : Damon Albarn invitera par la suite le trio a officier sur le premier album de Gorillaz (et notamment le single « Clint Eastwood »).
L’idée de sortir un album directement connecté au futur, au lendemain d’un bug de l’an 2000 tant redouté, était pour le moins casse-gueule. Et elle ne l’est évidemment pas moins en 2013, en pleine période de crise sociale, de marasme économique et avec une forte menace écologique en ligne de mire. C’est en partie ce qui coince avec ce deuxième effort, car Event II n’évite pas les redites et on se rend compte que le trio voit moins loin sur Event II que sur leur premier album éponyme. S’ils mettaient 1030 ans dans la vue à toute la sphère du hip-hop underground des années 2000, ils reviennent treize ans plus tard avec un retard manifeste. D’autant que ce nouvel album, dont l’enregistrement a commencé en 2005, a maintes fois été repoussé, la faute à Del qui, semble-t-il, n’est pas toujours en mesure de se mettre au boulot.
Venons en aux faits : Event II se projette en 3040 et Del ressort son costume de cosmonaute. Le constat fait par Deltron Zero, son nom de code, est à peu de choses près le même que sur Deltron 3030. C’est d’ailleurs Joseph Gordon-Levitt, nouveau bright boy du tout Hollywood, qui se charge de nous l’expliquer dans « Stardate », qui introduit l’album. Pour le reste, on retrouve tout ce que les fans de la première heure pouvaient espérer : les instrus, le flow et la précision arithmétique de la production du taulier Dan. Mais rien ne s’ajoute aux talents individuels que l’on connaît déjà.
Dans la plus stricte lignée du premier album, l’arrivée de Event II a longtemps été entretenue. Et même si son arrivée sur le marché apparaît comme une bonne surprise, Event II ne s’avale pas aussi facilement que son prédecesseur. Parce qu’à vouloir de nouveau jouer les redresseurs de torts, Deltron reste sur place. The Automator est devenu un producteur XXL copié et dépassé maintes fois, quand Del n’a plus l’allant de ses vingt-ans. Du coup, le trio perd toute l’avance acquise jusqu’ici. Flopée de featurings (on retrouve ainsi Damon Albarn, Mike Patton, The Lonely Island, Zack De La Rocha, Emily Wells et Jamie Cullum, sans compter les acteurs et le caméo d’un chef réputé outre-Atlantique), titres qui se succèdent comme dans une chaîne de montage et grands écarts entre couplets hip-hop et refrains orientés pop. Dan, qui s’est toujours défendu de pouvoir offrir différents niveaux lectures à chacune de ces contributions, se plante avec une production trop lisse, presque grossière. On n’est alors incapable d’aller chercher plus que ce qui nous est proposé. Tout comme on sort souvent déçu d’un volume II quelconque, Event II renforce l’idée que son prédécesseur Deltron 3030 était un coup d’éclat, rien de plus.