Je sors d’un cinéma imaginaire où j’ai vu un film qui n’existe pas : Certains l’aiment Shaw 2. L’avez-vous vu ? Non ? Allez-y, il vaut son pesant de noix de cajou. Pour la faire courte, c’est une relecture moderne du chef-d’oeuvre de Billy Wilder. Sugar, incarnée par Marylin Monroe dans le premier volet, est ici jouée par Chloé Thévenin ; dans le rôle de Joe, on retrouve David Shaw (And The Beat). Ils se rencontrent dans les années 2000, non plus en Floride, mais à Paris, au Pulp, temple dépravé du stupre électronique et du queer, où les deux DJ étaient alors résidents.
« _Ça signifie que tu joues de la musique qui bouge… De la techno ?, demande Sugar.
_Ouais. C’est très Shaw !, rétorque Joe.
_J’imagine que certains l’aiment Shaw… »
Pour être sérieux deux minutes, à l’époque où David Shaw faisait ses classes en club et jouait avec Blackstrobe, il se produisait sous le pseudonyme de Siskid et non de Joe. En survolant sa biographie d’hipster fluo, on apprend qu’« il est originaire de Manchester et fier de l’être », qu’il « porte en sautoir un pendentif représentant un rasoir-couteau à demi-ouvert » et que « sur son avant bras gauche, s’alignent cinq curseurs. Un tatouage simple et original, loin d’être anodin : il s’agit de sa position de réglage des potards d’une boîte à rythmes Roland TR-707, référence de la house music, pour le son d’une cymbale. » Mais si la techno est marquée sur sa peau, la pop n’est jamais très loin. Comme un certain Yan Wagner. Après écoute du premier album de David, on ne peut s’empêcher de penser à son Forty Eight Hours. Les deux parisiens ont baigné dans une culture techno, ont passé du gros son en club. Entre les touches de leurs synthétiseurs respectifs, on retrouve bien des poils de moustache de Giorgio Moroder et ni l’un ni l’autre ne se cachent de leurs références 80’s (entre autres, Depeche Mode) : ici, David Shaw rend hommage à The The via une reprise impeccable et vénéneuse de « Infected ». Quant au morceau « So It Goes » -pas moins de 10 minutes d’hypnose acide, c’est un clin d’oeil vitreux et post-punk à l’émission de télé éponyme animée par Tony Wilson ; donc à Manchester et à l’Haçienda, dont les dernières années ont vibré au rythme des pulsations techno venues de Détroit et de Chicago.
À première vue, cette pop synthétique à la rythmique millimétrée a tout le potentiel pour passer en club : des mélodies gluantes, une naïveté charmante et une immédiateté sur lesquelles Dave Gahan et Martin L. Gore n’auraient pas craché. Mais So It Goes se montre ambivalent. D’un côté, « Like Swans » a presque tout du tube universel pour dancefloor. De l’autre, la majorité des morceaux sont moins évidents, plus opaques et rappellent que David Shaw ne vient pas d’Ibiza mais mixait dans les clubs crades où l’héroïne (« No More White Horses »), la meth’ et tout un tas d’autres produits très sains avaient les faveurs des clients interlopes. Prenons les titres progressifs « Trance In Mexico » et « The Jackal » : sur le premier, avec sa rythmique Motorik et son motif entêtant de clavier qui se répète à l’envi, la progression du plaisir est constante et jouissive ; sur le second, sadique et récalcitrant, synthés bosselés et lancinants se brisent par deux fois au moment où l’orgasme approche. Alors qu’on attend notre déflagrulation faciale comme une auditrice porno docile, la morgue minimale des années Pulp reprend le dessus dans l’esprit de David et aucune flammèche Yazoo ne nous atterrit dans les yeux. Et c’est frustrant. Autant payer une Call-girl pour regarder Top Chef.