Chroniques

David Bowie The Next Day

Après neuf années sans David Bowie, le monde a un peu évolué et on se dit que beaucoup ont arrêté d’attendre le Bowie des chef d’œuvres inébranlables des seventies. On s’attend plutôt à celui qui a écrit les albums plaisants, sortis depuis Black Tie White Noise en 1993. Ce Bowie toujours curieux musicalement et au degré minimum de complaisance avec sa propre légende est un personnage sympathique et talentueux mais certainement pas le vampire musical on the edge toujours prêt à défricher de nouveaux territoires musicaux. Le Bowie dernière époque est concentré sur l’art du songwriting. On le sent s’interroger en toute sécurité sur ses réussites à lui, sur l’époque présente et sur ses modèles du moment, d’où la présence fréquente de reprises sympathiques sur ses disques les plus récents. Le défaut principal, celui qui affaiblit tous ces albums reste le manque de prise de risque en partie dû à des musiciens capables, mais moins géniaux ou aventureux que les Mick Ronson, Brian Eno, Carlos Alomar ou Dennis Davies du passé. Bowie a depuis longtemps délaissé les esprits tordus qui apportaient beaucoup à sa musique pour de dociles faiseurs de chansons avec un inévitable arrière goût arty.

Du coup, malgré un long silence, The Next Day se pose dans la continuité de …hours (1999), Heathen (2002) et Reality (2003), soit une alternance de bonne chansons bien écrites, bien produites, bien chantées, et des chansons plus faibles qui ne demandaient pas nécessairement à être écrites. Le fameux morceau initial, destiné à promouvoir le disque, « Where Are We Now », est assez nettement le meilleur de cet album, le plus profond, le plus direct, le plus valorisant pour se présenter en tant que David Bowie en 2013. C’est simple, on ne s’en lasse toujours pas. Pour le reste, c’est plus anecdotique. « The Next Day » (la chanson) reste rigolote avec des sonorités de à la Scary Monsters polies, et surtout une accroche très drôle de vieux sage : « Here I am, not quite dying » (« me revoilà, pas si mourant que ça »). La sucrerie pop du disque s’appelle « I’d Rather Be High ». On est loin de la chanson du siècle mais ça reste plaisant. Le reste du disque ressemble hélas plus à du pilotage automatique bien troussé, mais rarement brillant ou incisif en tout cas au regard des standard de l’artiste. En tout cas, pour ce qui est du bulletin de santé, chacun pourra écouter The Next Day rassuré, le héros de toujours est en forme, mention spéciale à son parti pris d’avoir enregistré en multipistes quasiment toutes les voix et les chœurs.

« Heat », qui clôt l’album, illustre à merveille les paradoxes musicaux qui habitent encore David Bowie. On sent bien l’envie renouvelée de sortir une bonne performance vocale, solennelle, dans une chanson atmosphérique comme sur « The Motel » ou « Heathen (The Rays) ». C’est pourtant un semi-échec à cause d’un léger côté Actors Studio. Le sentiment est renforcé par le visionnage récent du documentaire (très recommandé) produit par Bowie himself sur l’une de ses idoles, Scott Walker : 30th Century Man. Sur « Heat », Bowie cherche clairement à atteindre l’esthétique singulière de Scott Walker, mais est-ce si utile de ne prendre qu’une seule chanson sur un disque globalement pop FM pour faire cela ? Et puis surtout, le Bowie de 66 ans est-il comme le Scott Walker fascinant interviewé dans 30th Century Man hanté par des visions perturbantes de chaos perpétuel ne pouvant produire de la musique que pour exorciser ses angoisses ? Il semble que non, et Bowie a l’air de le regretter un peu.

Oui ami fan, la nouvelle livraison du grand homme vaut largement que tu y jettes une oreille. Pour les autres, nous rappelerons donc que David Bowie fait sûrement partie des cinq artistes les plus importants de la musique populaire, et que finalement, il demeure l’une des seules superstars du rock à garder un semblant de dignité.

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