Chroniques

Daniel Johnston Space Ducks

. Autant dire qu’au vu du programme, on est en droit de se demander si ce nouveau disque du légendaire Daniel Johnston ne serait pas un mash-up entre Star Wars et les publicités Canard WC. Mais passé la surprise de cette thématique toute en plume et lasers, on se rend compte qu’il n’y a finalement rien de surprenant venant de la part de quelqu’un qui se prend régulièrement pour Casper le gentil fantôme. Des marges aux barges, Daniel Johnston connaît déjà le chemin.

Destin d’écorché punk et incarnation vivante de la démarche lo-fi, le chanteur détonnait déjà dans le paysage musical des grosses productions FM des années 80. En grande partie enregistrée sur cassette audio, sa discographie a toujours pris l’autoroute pop en sens inverse en imposant une production primitive, des chansons folk boiteuses et un songwriting à poil. Diagnostiqué bipolaire, schizophrène et maniaco-dépressif, cet ancien « équipier » chez MacDo passé par la case HP a très tôt mêlé à son goût pour la musique une passion pour le dessin (d’où ce fameux t-shirt). C’est donc d’une volonté tant graphique que musicale qu’est née la bande dessinée Space Ducks : An Infinite Comic Book of Musical Greatness ainsi que son accompagnement sonore Space Ducks : Soundtrack (sans oublier une improbable application pour iPod).

À partir d’une vague histoire de romance entre canards, Johnston a donc composé une série de nouveaux morceaux tout en proposant également à quelques amis de venir se joindre à cette surprenante épopée pour coin-coins cosmiques. Jake Bugg trouve donc ici une profondeur qu’on ne lui soupçonnait pas, Unknown Mortal Orchestra déroule un rock hallucinatoire et Lavender Diamond chante une berceuse hors d’âge aussi apaisante que le son d’un carillon pour bébé. D’un folk tout en apesanteur et échos, le groupe de Chicago Fruit Bats signe quant à lui l’une des plus belles réussites de Space Ducks avec l’émouvant « Evil Magic ». Si le mélange un peu foutraque des styles dérange dans le cadre d’une écoute détachée de la bande dessinée, il aurait néanmoins pu être beaucoup moins bien géré. Reste qu’on se serait quand même volontiers passé du proto Guns N’ Roses de Deer Tick qui clôt l’album sur une note grossière bien loin de l’univers ascétique et désarmant de Daniel Johnston.

Mais de ce disque protéiforme, c’est finalement la personnalité hors du commun du texan, sa voix fracassée et son sens de la mélodie claudicante qui sortent vainqueurs. Sur fond de piano bastringue façon saloon, « American Dream » titube, se prend les pieds dans les tabourets du comptoir et braille avec entrain une mélodie avinée tandis que « Sense of Humor » pourrait rappeler certaines des meilleures heures des Beatles. Débutant sur un piano de jugement dernier, « Wanting you » dérape ensuite vers un swing désarticulé et une voix parfaitement ébréchée qui rappelle les grandes heures du fou chantant. Ce n’est malheureusement pas toujours le cas sur ce disque trop fractionné pour pouvoir être pris comme un nouvel album à part entière. Il n’empêche qu’après presque trois ans sans véritables nouvelles, Daniel Johnston prouve avec Space Ducks que derrière la graisse, il a toujours le feu au ventre. Encore une victoire de canard.

Scroll to Top