Lorsque la rumeur avait fait état il y a quelques mois de l’éventualité d’un album posthume de Daniel Darc, les avis étaient déjà partagés. Certains proches du chanteur annonçaient une opération de détrousseur de cadavres, arguant du fait que sa mère étant morte trois mois après lui, il n’y avait plus aucun ayant droits pour s’opposer à la sortie d’un disque qui regrouperait à la fois des chansons à peine achevées et des maquettes d’un intérêt discutable.
Un nouvel album était en préparation, avec le compositeur Laurent Marimbert, qui avait déjà œuvré sur La taille de mon âme en 2011. Ce producteur de variétés (Jenifer, 2be3, Nolwenn Leroy) lui avait été présenté par Christophe et avait aidé Darc à réaliser une œuvre intéressante, différente en tout cas des deux disques effectués avec Frédéric Lo (sortis en 2004 et 2008) qui avaient marqué son retour au premier plan il y a une dizaine d’années.
Chanteur de Taxi Girl dans les années 80, Daniel Darc était devenu ensuite une sorte d’icône rock hexagonal, travaillant avec Jacno, Bill Pritchard et plus tard Georges Betzounis pour l’excellent album Nijinski en 1994. Il s’était ouvert les veines sur scène en première partie des Talking Heads en 1979 et trimballait une aura d’artiste maudit, alors qu’il était simplement un musicien absolu, incapable du moindre compromis. Ceux qui l’ont côtoyé se souviennent d’un mec accessible, passionné, d’une grande patience et d’une extrême gentillesse. Un fan de Johnny Cash ayant rencontré la foi sur le tard. Il avait beaucoup évolué tout le long de son parcours, alternant les balades et les chansons plus rock avec un talent égal.
Son décès brutal en février dernier avait stoppé net le projet de nouvel album, et dans certaines têtes bien pleines, l’idée d’un disque posthume a commencé à germer. Et pourquoi pas, après tout ? Les chansons étaient presque prêtes puisque le duo avait l’habitude d’enregistrer les prises de voix avant de définir les arrangements. Il incombait donc à Laurent Marimbert de terminer, sans Daniel mais avec son fantôme, cet ultime album. Chapelle Sixteen est un double, puisqu’y ont été ajoutés des morceaux inachevés.
À l’écoute du disque, c’est précisément là que se situe l’écueil. Fallait-il y ajouter cette deuxième partie ? La version officielle assure que la mère de Daniel, avant de mourir, aurait souhaité que les chansons inachevées y figurent.
Les onze chansons que l’ex-Taxi Girl avait choisies pour son disque sont intéressantes, certaines sont magnifiques. On y retrouve des pianos Velvet, des guitares tranchantes et des orgues d’église. On y découvre des fragments d’autobiographies sur des thèmes qu’il abordait rarement en public, on s’émeut à l’évocation de ses ex compagnes, ses regrets (« La dernière fois »). On le redécouvre à l’aise sur les mélodies (« Une place au paradis »), alors qu’il s’était sur le tard un peu complu dans un phrasé inspiré de Gainsbourg. Sa ferveur religieuse est présente mais sans excès, l’obsession de la mort le poursuivait également. Au final, on se dit que ces quelques morceaux auraient suffi à faire un dernier album plus que digne.
Malheureusement, le second disque vient gâcher ce sentiment. Pourquoi avoir exhumé des maquettes sans grand intérêt, des témoignages de répétition dispensables, le tout avec un son plus que médiocre ? On écoute ces ébauches avec un sentiment de malaise, en se disant que cet artiste si pudique n’aurait certainement pas apprécié tel traitement. L’ensemble est vendu un peu moins de 17 euros, soit le prix d’un double album. Il eut été élégant de donner ces bonus aux collectionneurs ou aux fans de la première heure, en téléchargement gratuit… élégant, et honnête.