Malgré ses 60 ans, le rock a toujours eu une tendance au jeunisme. Tout comme il aime les sorties tragiques, il adore les arrivées en trombe et les premiers disques qui, en seulement quelques morceaux cinglants, imposent un artiste comme un nouveau messie. Mais dans de tels débordements d’énergie juvénile, il reste souvent peu de place pour maturer sa démarche musicale. C’est ici que se noue tout le drame de Crystal Stilts. Après Alight of Night, un magnifique premier album sorti en 2008, le groupe de Brooklyn pouvait sans crainte jouer aux héros tant sa musique savait articuler avec fougue les idéaux du post-punk, du rock psychédélique et d’une pop garage spleenétique. Un cran en dessous, son successeur In Love With Oblivion (2011) cachait pourtant son manque d’homogéneité derrière quelques singles imparables (« » ou « ») qui parvenaient quand même à placer les Stilts en dehors de la catégorie des one-hit wonders.
Exilé du label Slumberland depuis 2011 au profit du non moins respectable Sacred Bones Records, le groupe semblait vouloir déclencher son renouvellement. Mais si Radiant Door EP était un disque plutôt réussi, il ne parvenait pas pour autant à affirmer ses auteurs comme un groupe indispensable, ni à ouvrir une voie nouvelle à la musique des new-yorkais. Et c’est le même reproche, grosso modo, que l’on pourrait formuler à l’égard de leur dernier né, Nature Noir. Car même si ce troisième album offre davantage à la musique du groupe en y ajoutant parfois des sanglots de cordes (« Star Crawl » ou « Phases Forever »), on a souvent l’impression d’écouter un disque en maturation, une sorte de croquis dont les idées, une fois menées à terme, auraient potentiellement pu déboucher sur le second grand disque des Stilts. Sauf qu’ici, les esquisses restent des esquisses.
En équilibre instable entre l’envie de faire grandir sa musique et le refus d’abandonner trop vite ses passions de toujours, le groupe tangue sur le fil de sa propre identité. Pourtant, les Crystal Stilts ne manque pas de bonnes idées. On retient par exemple l’incantation désertique « Worlds Gone Weird », les cadences blasées de « Spirit in Front of Me » ou les effets de bandes qui viennent conclure « Darken the Door ». Mais à l’inverse, les singles « Star Crawl » ou « Future Folklore » manquent un peu de sang et la voix de spectre post-punk de Brad Hargett (qui faisait beaucoup du charme de Alight of Night) finit même par transmettre la lassitude plus qu’elle ne l’exprime.
Derrière un disque qui paraît parfois un peu trop confortable, on peut féliciter les Stilts de vouloir faire évoluer leur musique plutôt que de reproduire à l’infini une formule qui a déjà fait ses preuves. Conscient que la jeunesse n’est pas éternelle, le groupe cherche de nouvelles formules quitte à se perdre un peu dans les étapes transitoires et les rites de passages. Difficile de se défaire de l’impression d’un groupe déjà saoulé par l’âge adulte avant même d’avoir eu le temps de vieillir.