Chroniques

Crystal Castles III

Entre la première écoute du disque et le moment de la publication de ces lignes, Disney a eu le temps d’acheter LucasFilms, qui avait déjà violé nos derniers bons souvenirs d’enfance et Sandy a fini de faire le ménage sur la côte est des États-Unis. Ça ne vous avance clairement pas sur l’album, certes, mais ça vous pose un contexte.

Ce Crystal Castles troisième du nom, baptisé III pour éviter toute confusion, broie du noir plus qu’à l’accoutumée. Un objet surprenant qui prend parfois les traits d’une bande originale de Giallo avec son ambiance pesante de messe noire, avec des orgues de barbarie qui fait bien. III est gothique et froid. Emo jusqu’au bout des sourcils. Jusqu’à cette pochette malsaine dépeignant une femme en burka et un type lymphatique lovée contre son sein.

Bref. C’est Ethan Khan lui-même qui le dit : l’album a été fait en un jet, et aucun ordinateur n’a été utilisé. Du coup, on entend plus Alice Glass. Sa voix de la punkette capable de se transformer en râle aigu se retrouve noyée par les productions. « Plague » est super anxiogène, un peu comme les rats qui tiennent aujourd’hui Brooklyn en siège. L’extrait choisi comme clip accentue encore plus le truc : une fille en robe bleue tente de s’éclater la cervelle contre tous les murs (l’extrait est tiré du film Possession, sorti en 1981, avec Isabelle Adjani. Merci à Jonathan pour l’info). « Kerosene » est du même acabit : Alice chante dans un souffle avant d’être bousculée par les sons de Dreamcast familiers. Sur « Wrath of God », les cris d’Alice autrefois omniprésents sont réduits à un vague écho, et malgré une plage apaisée -qui rappelle certains morceaux de Final Fantasy VIII, coucou les geeks- elle semble se noyer dans ce morceau angoissant.

Le disque aurait pu être produit par Jamie XX. On croirait parfois entendre du Fever Ray démodé ou un brin de Koudlam. On se rassure comme on peut mais la première victoire de cet album, c’est que le couple n’est pas tombé dans cette saleté d’EDM. Ils ont pris un chemin plus glauque et plus urbain pour boucler leur triptyque : CC offre des couplets qui suintent le bitume mouillé, les poubelles qui débordent, les freaks coincés dans les rues. Comme un Dead Can Dance moins world et biberonné au son des secousses des métros nocturnes.

Premier vrai tube de ce disque, « Affection », où Ethan Khan se prend pour un Timbaland à capuche. L’album prend alors un tournant R&B. Sur « Pale Flesh », Glass chante depuis le fond d’une piscine, et même si ça commence à ressembler à du Tatu, cette sirène en détresse vous brise le coeur. « Sad Eyes » attaque avec un rythme eurodance immonde entrecoupé de 5-6 notes géniales au piano qu’on dirait Suspiria tellement c’est crème. Pèle-mêle : « Insulin » et son concept incompréhensible, « Transgender » qui ressemble autant à un morceau de Telepathe qu’une autre piste instrumental appelée… « Telepath ». « Violent Youth » ? Cherchez pas, c’est du charabia taillé pour les clubs. Quand à « Child, I Will Hurt You », ce morceau boucle III dans une espèce de comptine perverse et on se dit qu’on vient de laisser l’album le moins immédiat mais le plus cohérent de Crystal Castles. Khan et Glass écrivaient jusqu’ici des morceaux de fin de soirée, ce moment où se révèle la crasse du dedans comme celle du dehors. Avec III, ils mettent un point final à la fête et c’est la gueule de bois. Leurs hymnes ne célèbrent plus le plaisir et le danger, mais ils dégagent une sérieuse impression de déception, de regret.

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