Un joli EP, un contrat chez Bella Union, la maison de Beach House, Wild Nothing et The Walkmen entre autres. Avec la sortie de leur premier album, tous les signaux sont au vert côté Concrete Knives. Peut-être que c’est parce que cette musique n’existe pas vraiment en France, ou qu’être signé par Bella Union ça a de la gueule (euh non, on s’en fout en fait), ou que le ministère du redressement productif marche mieux pour la pop bleu blanc rouge qu’ailleurs en cette année 2012. Ou tout bêtement qu’il y a quelques très bonnes chansons, dans ce Be Your Own King. C’est qu’ils sont déjà là, en embuscade, les inévitables tags génériques à la « révélation française de l’année » ou « album à ne pas manquer ».
Le truc, chez Concrete Knives, c’est qu’il n’y a objectivement rien à jeter aux orties. Les morceaux ont un véritable cachet, il y a du fun, de l’immédiateté dans tout ça. Et par dessus tout, ce groupe de jeunes gens semble fort sympathique et, grosso modo, Be Your Own King n’est pas aussi moralement contestable qu’un happening de Mireille Matthieu sur la Place Rouge en compagnie de Vladimir Poutine. L’humeur n’a rien à voir là-dedans.
Quand « Bornholmer » démarre le disque, à mi-chemin entre les suites d’accords tendus du « » de Wavves (autre poulain de l’écurie Bella Union) et l’atmosphère tourmentée de « » d’Arcade Fire, il se passe quelque chose. Ça déborde, ça vous attrape par les jambes et par la tête et on imagine déjà l’émeute en concert. Il y aussi de l’intelligence, comme sur l’instrumental et voyageur « Roller Boogie » ou sur le minimaliste « Truth ».
S’il n’y a rien à jeter aux orties, il n’y a pas non plus grand chose à lancer dans la marmite. On ne voit pas trop quoi retirer de ce disque. Que nous apprend-il ? Qu’y a-t-il derrière l’ambiance « safari urbain » (expression ad hoc piquée quelque part sur le net) de « Africanize », si ce n’est une pincée de Vampire Weekend pour faire bien ? Et dans le concept un peu fumeux de « Wild Gun Man » avec sa guitare « so western », son champ lexical de la confrontation, son beat militaire et déterminé ? Dans le groove gênant à la Kasabian et les « na-na-na » de l’hymnesque « Greyhound Racing » ?
Pas matière à rêver, à transcender le quotidien, à se laisser emporter par une histoire ou des atmosphères, et encore pire, un groupe. Quand Arcade Fire sort Neon Bible et The Suburbs, le deal est clair, le manuel se déroule à mesure que les pistes s’enchaînent. Quand Wild Nothing lâche Gemini dans la nature, quiconque a croisé le chemin de ce monstre de romantisme, de tendresse, en témoignera : difficile de s’en défaire. Quand Nathan Williams, avec Wavves -encore lui, éructe King of The Beach, le mec schlingue tellement la lose que même les plus anglophobes comprennent ce qui se trame entre les lignes.
Sur Be Your Own King, qui ne s’inspire ni ne doit quoi que ce soit aux trois ou quatre disques convoqués ci-dessus, il ne se passe foutrement rien. Concrete Knives a beau soigner son anglais, rien ne transpire de ces dix morceaux, proprets même lorsqu’ils se veulent « tendus » ou « rock » (encore « Wild Gun Man », voire « Greyhound Racing »). Avec Concrete Knives, c’est l’indie qui n’a plus rien à dire, qui ne veut plus rien dire, qui n’a plus envie de dire quoi que ce soit. Allons plus loin dans le cas précis de ce groupe : c’est l’indie qui n’a jamais rien eu à dire. À ce sujet, on vous conseille cet excellent (en anglais) de Hipster Runoff qui résonne particulièrement fort au moment d’extraire le disque du lecteur.