Chroniques

Clinic Free Reign

Parce que le groupe met des masques de chirurgien-dentiste en concert et pendant les shootings, difficile de ne pas penser à ce vieil épisode de Dr House où l’on voit des malades se balader avec les blouses ouvertes au niveau des fesses. Depuis plus d’une décennie à Scouser Land, Clinic publie des albums sur un rythme tellement régulier qu’on les entend bien traîner des pieds dans les longs couloirs blancs d’un hosto, la respiration lourde, accrochés à leur perfusion post-punk. 

Pharmacie oblige, on peut parler des chansons de Clinic comme de petits suppositoires de krautrock qui fondraient sur les orgues négociés poliment par Ade Blackburn dans les brocantes du nord-ouest de l’Angleterre. Cerveau de ce groupe formé en 1997 sur les cendres de l’expérimental Pure Morning, Ade semble avoir l’esprit embrumé par quelques boîtes de Zolpidem. D’où ce bourdonnement bientôt familier après 15 années de traitement homéopathique.

La pochette de Free Reign, inspirée des travaux de Bridget Riley, évoque ces tunnels parfois empruntés par la musique de Clinic. Elle accentue le niveau de désorientation procuré par les nuages nébuleux de guitares et de claviers de la bande à Blackburn. Le disque débute avec « Misty », qui ne parle pas du brouillard mais plutôt d’une pépé qui essaierait des boots un peu trop étroites pour ses mollets dans une boutique genre Primark : ces longues plages d’orgue à la Doors ainsi que la rythmique redondante contrastent avec l’exercice vocal très pop et mélodique d’Ade. Vient l’épiphanie sur « Seesaw », qui mélange des appeaux pour canards britanniques, des riffs bien secs et des bouts de saxophone, la noirceur des ambiances des Black Angels et les grooves psychédéliques de Tame Impala.

Sur l’album, on retrouve aussi des morceaux plus jazzy comme « Cosmic Radiation » et « Sun and the Moon », qui ferme l’ensemble. Ambiance plus synthétique et consensus pop sur des titres comme le haletant « Miss You » ou « Seamless Boogie Woogie BBC2 10pm (rpt) ». Ade Blackburn est un type bien, un type biberonné à Scott Walker ou Pat Kilroy, un type qui aimerait forcément qu’une grève générale vienne secouer la Grande Bretagne (ça c’était après avoir fait de la pub pour les bols de Weetabix avec une vieille face B un peu teubé « D.P ». Big up au mec qui a eu le cran de présenter ce morceau à ses patrons). Après sept albums et autant d’ambiances, de la pop expérimentale du premier album, Internal Wrangler, à Bubblegum, sorti en 2010 et qui porte très bien son nom, Clinic conserve une vraie profondeur, se transforme sans jamais altérer sa personnalité, et rapatrie, avec Free Reign, une étrange chaleur perdue dans les 70’s. Alors on écoute, et on dit Mersey.

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