Fait suffisamment rare pour être souligné, ce sont les membres de Cheveu eux-mêmes qui parlent le mieux de leur musique : « On est un groupe, on fait des concerts et des disques. On fait du rock », expliquait David Lemoîne, le chanteur du groupe, dans que leur a consacré le webzine Noisey en 2011. Minimaliste, mais on ne peut plus honnête. Voire suffisant, une fois que l’on s’est penché sur leur cas. C’est même un peu ça, l’histoire de Cheveu, finalement : faire de la musique avec une certaine rigueur et ce sans jamais se prendre au sérieux. Ne dévoiler que ce qu’il faut, et dire les choses telles qu’elles sont, sans détour. Quand au nom qu’ils se sont donnés, ils avouent avoir joué la carte de la déconne avant d’évoquer une sombre histoire d’anagramme porno.
Pour bien comprendre le délire dans lequel vous allez vous retrouver enfermé, il faut remonter à 2008, date à laquelle le groupe a sorti son premier album éponyme. Après avoir fait ses armes sur les routes des États-Unis aux côtés des Black Lips ou d’Animal Collective et balancé quelques titres sur des labels ricains, le groupe revient en France. À l’époque, leur punk est peu fréquentable. Parce que bête et méchant, mais néanmoins recommandable pour les amateurs de bruits et de chaos. C’est rouillé et tranchant, ça sent le tétanos : l’énergie dans laquelle puise Cheveu est imprégnée de no future. Le succès (relatif, on ne parle quand même pas de Rihanna) est au rendez-vous et avec 1000 Mille, leur second LP, Cheveu invente le « lo-fi symphonique ». Nouvelle bizarrerie punk.
Avec Bum, le groupe persiste et signe. En mieux. Le format est toujours aussi court et comme souvent, les mecs mettent peu de temps à tout déballer. Le discours, souvent à la limite de l’absurde, est de nouveau souillé par cette poésie punk (« Madame Pompidou » ou « Monsieur Perrier » entre autres) qui a contribué au rayonnement de Cheveu.
Mais le plus fou ici, ce sont les arrangements. On sent assez vite que nos gaillards sont de vrais amateurs de bonne pop. Le traitement fait sur les chœurs, arrangés à Tel-Aviv par la compositrice Maya Dunietz (qui avait déjà collaboré avec le groupe sur 1000 Mille), les synthé complètement psyché, ou les parties d’orgue, jouées par Xavier Klaine, de Winter Family (et enregistrées en l’Église Saint-Merri dans le 4ème arrondissement de Paris, comme ça vous savez tout) sont de parfaits indicateurs pop. Une somme de détails qui témoignent du gros travail réalisé sur ce troisième effort. Finis les empilements de pistes, Cheveu maîtrise son sujet et lâche un peu moins la bride. Ce nouveau monstre n’est pas du genre à se retourner contre son créateur, et il devient l’album le plus abouti du groupe. On pense aux cassures rythmiques sur « Stadium » ou « Blood and Gore », qui rappellent les plus grandes heures de l’Amérique white trash, façon Bloodhound Gang. « Polonia », en six minutes foutraques, met sur pieds une espèce d’opéra-punk rock à lui-seul où Cheveu repousse ses propres limites et prend des risques, histoire de prouver qu’ils sont dignes de son rang.
Personne ne se battra jamais pour récupérer Étienne, David et Olivier un soir de Victoires de la Musique. Cheveu ne remportera sûrement jamais cinq Grammy d’affilés. Leurs récompenses, ils vont les chercher ailleurs. Notamment dans la quantité de sueur que vous serez prêts à dépenser lors de leurs concerts.