Voilà quelques jours, un petit malin du nom de Nathanaël Rouas a fait son beurre avec un concept fumeux qui, je l’espère, vous a donné des envies de bomeurtres. Ce concept, le voici : le « » contraction de « bobo » et de « chômeur ». Un néologisme qui doit vous sembler anecdotique mais qui ne l’est pas pour moi puisqu’il m’a empêché de faire le buzz avec ma propre catégorie sociologique inspirée par Benjamin Biolay himself : le « bioleur », contraction de bobo + Biolay + branleur (initials B.B.B.). Le bioleur a du talent, des facilités agaçantes, l’orgueil de la bête blessée et un côté beau-laid écorché vif qui plaisent aux consommatrices de lait bio autant qu’ils insupportent les mecs qui mettent des slips. L’insuccès commercial de À l’origine (2005) et Trash Yéyé (2007), boudés à tort, s’explique en partie par un délit de belle gueule et une mauvaise réputation : en plus d’être turbulent et porté sur la bouteille, Trash B.B se croit sorti de la cuisse de Jupiter ou de Gainsbourg et raille Bénabar alors qu’il vend moins d’albums que ce songwriter amateur de pizzas sous la couette. Mais tout cela, c’était avant le splendide La Superbe (2009) qui, aujourd’hui, lui permet de faire l’unanimité et la Une de Next, des Inrocks, de Télérama avec son nouvel album : Vengeance.
Un disque de platine, deux victoires de la musique en 2010 en tant qu’artiste interprète masculin (prends ça Bénabar) et dans la catégorie meilleur album de chansons/variétés de l’année, ça vous change un homme, fatalement. Soutenir le président normal lors de la campagne présidentielle aussi, visiblement : Benjamin Biolay s’est normalisé et a semble-t-il perdu de la fièvre qui habite les « Résidents de la République », lui le tributaire de feu Alain Bashung. Oui, le rose de sa pochette « a des reflets de bleu » mais, à l’inverse de Bashung qui chantait : « Un jour je sourirai moins / Jusqu’au jour où je ne sourirai plus », B.B sourit plus qu’hier. En apparence en tout cas.
Il se trouve désormais sous les « Confettis » (quatorzième et ultime morceau de son nouvel album) et concède, sur une lame de violon larmoyant, épaulé par la voix de Julia Stone : « Ça me va droit au cœur d’avoir toute votre estime / C’est un peu de chaleur, un peu moins de clim’ / Oublions les rancœurs et rebranchons la ligne. » Plus qu’à une dame qu’il vouvoie et chérit, plus qu’aux femmes dans leur ensemble, c’est bien à ses détracteurs du passé, ces « merles moqueurs », qu’il s’adresse et propose d’enterrer la hache de guerre.
Si on gratte la couche de gel qui recouvre le lac, la rengaine est la même que celle ressassée sur chacun de ses albums : des histoires de cœur, de rupture, de cul même si Vengeance joue bien plus au niveau de la ceinture que ses prédécesseurs. Pourtant, Benjamin Biolay reste ce mec à qui les filles croisées dans le « Night Shop » de La Superbe glissent des « T’es beau » ; mais lui, encore et toujours, ne les « croit pas trop ». La preuve, « Il n’y a personne dans mon lit / Juste une tonne de débris » se lamente-t-il dans le morceau « Personne dans mon lit » .
La beauté de La Superbe résidait dans son évidence pop, dans sa cohérence poétique, dans son impudeur. Un coup de maître duquel il faut se détacher car Vengeance n’est en aucun cas une suite. Benjamin Biolay fait table rase de ce qui a fait le succès de son album précédent : moins torturé, plus taiseux, plus économe en mots bleus brisés. Dans son ensemble, La Superbe foisonne de rimes qui plaisent à l’œil, à l’oreille, au cœur (#nohomo). Ici, on reste sur sa faim, les textes sont moins généreux, trop prévisibles et arides. La force de sa Vengeance tient tant dans ses compositions, riches en accords et gracieuses, que dans les arrangements. Chansons tour à tour soul (« Aime Mon Amour » avec ses cuivres), mâtinées d’électronique (« Sous le lac gelé ») voire carrément new wave. Effectivement, le bientôt quadra a visiblement cédé au revival 80’s avec des titres très synthétiques où on retrouve ses premières amours pour la bande à Peter Hook : « L’insigne honneur » et le frissonnant « Marlène déconne » qui s’impose comme le morceau le plus réussi de l’album. Un beat qui claque, une mélodie mélancolique à vous en coller la chair de poule, un refrain bien catchy (« Y a pas mort d’homme / Marlène déconne ») et des lyrics au niveau : « Toi mon amour, je t’aime mais la chambre est d’un froid », « Toi mon amour, je t’aime comme tu ne l’imagines pas / Toi mon amour, tu m’aimes mais jamais dans de beaux draps » Chez Biolay, l’amour est toujours un peu cruel.
D’aucuns disent que La Superbe était sa vengeance à lui. En quelque sorte, oui. Mais au fond, sa véritable revanche n’est-elle pas de pouvoir faire un album moins convaincant que ses précédents tout en étant porté aux nues ? Un disque sur lequel il prend son pied avec les copains dans des featurings cosmétiques (Vanessa Paradis sur « Profite », Carl Barât sur « Vengeance », etc) ou en assouvissant ses fantasmes hip-hop avec Orelsan (« Ne regrette rien ») et Oxmo Puccino (« Belle époque (Night Shop 2) »), les deux rappeurs ascendant variétoche du moment.
Benjamin Biolay est enfin bien rentré dans le rang. Il lui a fallu dix ans pour comprendre qu’il n’y a plus de place pour un dézingueur aviné à la gueule trop grande. Alors, il a -malheureusement- mis de l’eau dans son verre de Beaujolais. Finie l’époque où, en tête à claques maudite, il tirait à vue sur Bénabar (c’était gratuit, mais merci). Aujourd’hui, assagi, il raconte que Bruno Nicolini n’a pas volé son succès ! Attention B.B… À ce rythme-là, tu pourrais finir aux Enfoirés. Cela dit, s’il y avait plus de Benjamin Biolay aux Enfoirés, les pauvres auraient sans doute moins honte et la variété française se porterait mieux.