En 2011, un drôle de petit bout de femme débarquait des rues de Twickenham. Une rockeuse qui, contrairement à ses contemporaines (Ema, Best Coast, Zola Jesus, pour ne citer que quelques noms), ne se cherche pas une caution cool ou arty. Robe flamenco sur le dos, elle donne vie à l’un des albums les plus fiévreux de l’année (une « révélation », entendit-on parfois).
Depuis, Anna Calvi semble avoir conquis toute l’Europe. Du moins la France, ce pays où le rock est aussi bon que le vin anglais et où l’on préfère les moutons à trois pattes aux pragmatiques souriants (The National, anyone?). Dans un entretien récent accordé à Libération, celle que l’on place souvent au croisement des talents de PJ Harvey et de Jeff Buckley déclarait d’ailleurs que «La France a été le premier pays à bien réagir à ma musique. J’étais ici à la sortie de l’album, il y avait une énergie favorable que je n’oublierai jamais.» Effectivement, la dame ne nous a pas oubliés : après la sortie de son premier album, elle enchaine les tournées dans nos contrées, reprend Edith Piaf (le discutable « ») et enregistre son second au Black Box Studio d’Angers. De ces diverses escapades, plus de trente chansons naîtront. Onze ont été retenues et présentées fin septembre en exclusivité à la Gaîté Lyrique. Cocorico.
Dans One Breath, on peut distinguer deux parties. La première impressionne par son audace formelle et sa maitrise technique. La seconde reprend merveilleusement les bases posées par le premier album (structures à tiroirs, distorsions incendiaires, chant possédé). Et dans ce registre, l’énigmatique « Carry Me Over » est sans doute sa plus belle réussite, une merveille qui fixe en cinq minutes l’identité de miss Calvi. Une identité à la fois brutale et soyeuse, sombre et lumineuse.
Mais concentrons-nous plutôt sur ce qu’il y a de novateur dans One Breath : des chœurs enflammées, des orchestrations, des cordes amples et des instruments exotiques. Avec comme sujet d’étude, un concept métaphysique un peu flou et pompeux, énoncé ainsi dans le communiqué de presse : « One Breath, c’est le moment qui survient avant de se découvrir à soi-même. C’est à la fois effrayant et passionnant. Mais c’est aussi plein d’espoir, car tout ce qui est supposé arriver ne s’est pas encore produit. » Ainsi, plutôt que de systématiquement jouer l’écorchée-vive, l’anglaise sublime le tout de mélodies diaphanes, de guitares aiguisées et de refrains amples. Et surtout, côté chant, elle s’impose comme une version plus froide et sage de Karen O. Mais là où Anna Calvi, la musicienne, excelle, c’est sa façon d’utiliser sa technique pour le bien des chansons : prenons l’exemple de « Tristan », où les guitares servent aussi de percussions, ou de la voix de la chanteuse, dont les possibilités semblent infinies.
Mais la technique ne fait pas tout, et Anna Calvi ne faiblit pas non plus quand il s’agit de composer des tubes limpides. Elle a par exemple la bonne idée de convier John Baggott (ancien de Massive Attack et Portishead) aux claviers, de jouer sur les nuances et de rendre l’ensemble plus lisible, plus construit aussi. Comme sur le dissonant « Piece By Piece » ou sur « Eliza », single à la fois héroïque et rempli de fracas de guitares dont le thème est là encore bien perché : « Il s’agit d’évoquer une femme qui aurait perdu toute sa beauté et sa force, mais qui s’efforce de la retrouver ».
Il y a dans One Breath quelque chose de profondément biscornu, de sophistiqué et d’électrique (« Suddenly ») avec des envolées lyriques à la Ennio Morricone (le final de « One Breath » ) et des incursions stoner (« Love Of My Life »). Ce deuxième album d’Anna Calvi dépasse à peine les trente minutes et c’est une bonne chose tant il ne souffre pas du moindre temps mort. Il est moins référencé, aussi, et Anna Calvi, par ses nuances et ses ambiances intimistes, prend une dimension toute autre.