Journaliste politique, personnalité engagée, organisatrice de concerts : malgré son jeune âge (26 ans), Anika aurait facilement pu se satisfaire de son début de gloriole. Mais ce qui aurait dû être une réjouissance constante chez elle s’est rapidement transformé en stress, en folie ingérable. Ne supportant plus son métier, la belle se met alors à la musique, et trouve réconfort dans les albums d’artistes aussi disparates que Bob Dylan, Blondie, Cat Stevens ou Nina Simone. Le hobby devient ainsi rapidement une obsession que Geoff Barrow (Beak>, Portishead, Quakers) s’évertuera à satisfaire. D’abord, en faisant d’elle la première signature féminine d’Invada Records, son propre label, puis en l’accompagnant sur scène avec les autres musiciens de Beak> pour défendre son premier album. Sur Anika, la Berlinoise décline toutes les variantes d’un groove à la fois mélodique et mystique, où les arrangements sobres et claustrophobes maltraitent à la perfection l’austérité de son chant.
Avant d’évoquer ce nouvel EP, lui aussi baptisé Anika, une question reste à régler : Anika n’écrit pas la majorité de ses textes, se contente de reprendre des standards plus ou moins anciens de la pop-music, et alors ? C’est une interprète. Elle réussit d’ailleurs là où tant d’autres ont failli : dans cette façon de juxtaposer avec élégance rétro et modernité, rigueur et âpreté, dans cette aisance à s’accaparer un tube, oublié ou non, pour en faire un objet hybride, un fantasme malsain capable de réjouir nos pulsions les plus inavouables. À l’image de « The End Of The World », succès country de Skeeter Davis enregistré en 1962, qui, entre ses mains, se teinte d’une froideur aussi fascinante que cabossée.
Comme sur le premier album, les compositions d’Anika sont nées d’un refus catégorique : celui de faire un choix entre sonorités hypnotiques, dubs industriels et ambiances dream-pop. On y retrouve ainsi l’insolence de Throbbing Gristle, l’écume des rêves de Beach House, la fureur chamanique de DNA, les intentions arty de Sonic Youth ou encore le chant sous ecstasy de Nico. Comme si Anika s’offrait la liberté de reprendre son œuvre là où elle l’avait laissée pour en parfaire le sens. Comme si, dans cet univers fantomatique qui s’installe naturellement, presque sans effort, elle prenait le temps de revenir sans cesse sur les mêmes intentions pour mieux les détourner.
Mais là où ça coince, c’est que tout ça ressemble un peu trop à l’album, justement. Il est vrai que si l’on goûte avec délectation aux relectures expérimentales d’Anika (celle des Shocking Blue, « Love Buzz » est tout simplement géniale), on aurait aimé l’entendre ouvrir de nouvelles pistes, se méfier des évidences – là, avec seulement trois titres inédits sur six, l’EP peut laisser l’auditeur sur sa faim.
Cette nouvelle production sait heureusement dépasser ses gimmicks, parfois un peu systématiques, pour se révéler passionnante lorsque les compositions, sans fioritures ou autres convenances, virent à la démence. Un procédé tordu et délicatement pervers qu’Anika pousse ici à l’extrême, notamment sur l’excellente « He Hit Me » (reprise des Crystals) et sur l’impétueuse « In The City » (reprise des Chromatics). Bon, on n’ira pas jusqu’à dire qu’elle réinvente l’art de jouer de la pop, mais elle a au moins le mérite, et quel mérite, de la détourner de son utilisation primaire.