Du Michigan undergound de Philipp Plein lors de la Fashion Week milanaise, la success story d’Angel Haze est un cas d’école. Pourtant, et même si notre convention collective interdit l’utilisation de néologismes dérivés de l’anglais, son premier album Dirty Gold est un album carrément déceptif. Comme dirait Montesquieu ou un autre chaland: « qui trop se hâte reste en chemin ma gueule ». Alors qu’il y avait un certain plaisir à voir Angel jouer les Cosette, , éclipser Iggy Azalea et reléguer Kreayshawn en bas du fil d’actualités de , la rappeuse de Détroit a fini par se tirer une balle dans le pied.
On pourra retenir le panache de la forme tant la sortie de Dirty Gold s’est faite dans une petite bulle de chaos. Son album met trop longtemps à son sortir à son goût ? Elle interpelle poliment sa hiérarchie, du genre « désolé mais allez vous faire enculer » et publie un lien Soundcloud vite retiré. « Je m’en fiche de ce qui se passe après » jure alors la jeune nihiliste. Le clash oblige le label à avancer la date de sortie du disque au 30 décembre 2013, jour particulièrement peu propice à l’achat compulsif de CD. Une cascade qui coûte cher à Island/Republic Records et ressemble à un voyage en Zéro au-dessus du Pacifique.
Angel Haze n’est pas la première artiste à court-circuiter son distributeur, geste souvent interprété comme une marque d’amour faite aux fans, parfois comme une décision artistique, mais rarement comme une manifestation anti-système. L’acte de la jeune rappeuse est beaucoup moins punk que la décision prise par le duo Death Grips de poser littéralement son appendice sexuel sur la table et de mettre son album No Love Deep Web (en format zip. pour faciliter la tâche de tout le monde) sur le web. Moins punk, donc, mais il s’explique.
Depuis son éclosion et sa rapide notoriété bâtie à la fois sur les canaux classiques (la presse) et les réseaux sociaux, Angel Haze a probablement trouvé le processus d’élaboration de son disque trop long et tortueux. Au vrai, la seule décision qui handicape vraiment Dirty Gold, c’est la présence du producteur Markus Dravs, collaborateur de Coldplay, Mumford & Sons ou Björk, qui a sensibement édulcoré le flow d’Angel Haze en traitant chaque titre avec une cohérence pop/R&B. Exemple le plus probant: « Battle Cry », duo avec Sia, construit uniquement pour les charts sur un modèle désuet à la Eminem/Rihanna.
Haze avait débuté sa carrière par des titres accrocheurs et des mixtapes âpres où son bagou et ses rimes sortis à l’uzi ricochaient dans les caboches. Débit pressé, elle avait gagné en crédibilité grâce à des reprises bien senties et une gouaille parfois géniale. « Echelon (It’s My Way) », avant d’être une bombe visuelle avec son lot d’ancien figurants de Oz, sa block party plus bandante que les fêtes en appartement de Miley Cyrus et ses quads du Nord-Pas-de-Calais, ressemble à un vrai single. Le problème de Dirty Gold c’est qu’il est composé ensuite de quelques tâcherons comme « Deep Sea Diver » – morceau de R&B mou – que « Sing About Me » résonne beaucoup trop comme « My Love » de Justin Timberlake et que « Angels & Airwaves » s’adresse surtout aux gens qui veulent mourir.
Angel Haze a chopé la mauvaise habitude de démarrer certaines chansons par un enregistrement désagréable, une explication de texte sur « la musique qui t’enferme puis te libère » et se termine en leçon de vie. Pas à une contradiction près, elle assène que « [son] identité c’est [sa] musique et rien d’autre » avant d’introduire « A Tribe Called Red » sur fond de chants traditionnels d’indiens d’Amérique. Parsemé d’EDM, l’album aurait pu plaire aux fleuristes – en témoignent les titres très Maison & Jardin que sont « Black Dahlia », « White Lilies » et « Rose-Tinted Suicide » – si la seule plante que la jeune demoiselle cautionne n’était pas de la famille de celles qui se fument et font rigoler. Prendre un joli nom de beuh ne suffit pourtant pas à établir une réputation et encore moins à rendre un disque plus personnel.
Déguisée en Spartiate sur la pochette, Angel avait pourtant des allures de prédicatrice à la Erykah Badu sur « Black Synagogue », quand des titres comme « April’s Fool » ou « White Lilies / White Lies », avec son rythme à la Nicki Minaj et ses cordes orientales, auraient pu envoyer. « Je me suis assise en pleurant sans dormir ni manger. J’ai refusé plein de trucs pour être sure d’avoir le temps de faire cet album. J’ai tendu l’autre joue parce que, la musique, c’est tout ce que j’ai », raconte-t-elle dans sa fameuse avec son label. Difficile de douter de la sincérité d’une nana écorchée vive quand on sait que sa jeunesse à Motor City, passée à suivre la préceptes d’une secte pentecôtiste, a été plus que glauque (et dont certains événements sont sur l’instru du « Cleaning Out My Closet » d’Eminem). Trop tard, l’album se termine sur « New York » et des réminiscences de ses mixtapes, Reservation ou Classick, sur lesquelles Angel paraît tellement à l’Haze. Moralité? Le chantage, c’est parfois moins bien que la patience.